Prédateurs et exploiteurs

Mais si la girafe est une vedette dans le domaine des arts graphiques, dans la réalité le sort de l'animal est rien moins qu'enviable puisque, comme en atteste certaines des gravures rupestres déjà mentionnées, il fut de tout temps une proie pour l'homme. En effet, malgré des difficultés à la surprendre en raison de sa capacité à repérer tout prédateur à grande distance, et à l'attraper en raison de sa vitesse de déplacement, en Afrique la girafe a de tout temps constitué une prise convoitée : sa chair et sa moelle étaient consommées, avec son cuir, particulièrement épais, on fabriquait boucliers, outres et tentes, enfin, sa queue fut longtemps recherchée comme trophée (chasse mouches ?) ; s'y ajoutait le commerce. Au XIXe siècle, la chasse à la girafe fait l'objet d'une planche de l'Imagerie Pellerin d'Epinal (cote Z01509), représentant une scène de capture, cruelle et mouvementée. Le texte précise : "Il n'y a pas bien longtemps que nous possédons des notions exactes sur le singulier quadrupède". La méthode cynégétique adoptée par les Nubiens est décrite en détail et se conclut sur ce triste constat : "si la girafe est jeune, elle suit les chasseurs qui la vendent dans une ville voisine, si au contraire l'âge l'a rendue moins docile et qu'elle refuse de marcher, les chasseurs la tuent sur place et en emportent la peau". Précisons que cette publication était destinée aux enfants…
Il est aussi question de Nubiens dans un article paru dans Le Monde illustré du 15 septembre 1877, relatant le séjour à Paris, au Jardin d'acclimatation, d'un groupe de Nubiens et de leurs animaux, autruches, girafes, buffles, dromadaires et éléphants, dont un "négociant" avait organisé la tournée dans les capitales européennes. On apprend à cette occasion une autre utilisation de la dépouille de la girafe, puisque ses tendons servent à constituer les 5 cordes d'un instrument de musique qualifié de guitare. Derrière une volonté de mise en scène ethnographique voire naturaliste, dont témoigne une gravure (cote 2Fi2/97), il s'agissait ni plus ni moins d'une opération à but mercantile, destinée à fournir en animaux exotiques les ménageries foraines européennes. D'autant plus que se développait à la même époque une nouvelle forme de spectacle populaire, le cirque-ménagerie, dont la mode venait d'Angleterre et des Etats-Unis : le premier établissement de ce type avait traversé la Manche en 1868. Ainsi, après avoir contribué à faire la renommée des museum d'histoire naturelle, et autres parcs zoologiques, la girafe devint une attraction, comme celle du Cirque d'hiver dont nous conservons une affiche datant de 1890 environ, et représentant la parade burlesque (cote 24F1/14). A l'aube du XXe siècle, comme dans les jeux du cirque antique, son extraordinaire singularité scellait le destin de captive, exhibée ou sacrifiée, de la girafe.