Du chameau-léopard …

En effet, bien qu'elle ait été de longue date connue par l'homme, voire domestiquée, comme en témoigne l'art rupestre préhistorique (Algérie, Lybie, Namibie, Niger, etc), les spécimens visibles restent très rares à l'époque historique, à commencer par l'Antiquité. On voit ici un bas-relief égyptien, relevé par Champollion lors de sa mission scientifique en Egypte (1828-1830) et publié après sa mort par son frère, Champollion-Figeac, où elle figure précisément comme tribut (cote CM01416). En effet, elle est, dès cette époque, toujours liée à un contexte de faste royal ou d'échanges diplomatiques ; elle y incarne les merveilles de la lointaine et mystérieuse Afrique. A la période hellénistique, on sait par plusieurs récits d'auteurs grecs (repris de Callixène de Rhodes) qu'une girafe (kamelopardalis) est présente, au milieu de nombreux autres animaux exotiques, dans une procession organisée par Ptolémée II Philadelphe à Alexandrie au début du IIIe siècle av. J.-C. On constate que cette présence est quasiment contemporaine de la rédaction de la Septante (cf. supra).
Ainsi, le nom qui lui est attribué par les Grecs à l'époque ptolémaïque va accréditer pour longtemps cette idée de créature composite : aux balbutiements des systèmes de classification du vivant, ils choisissent de la désigner d'un substantif forgé soit sur l'association cheval –panthère, soit sur celle chameau-léopard, privilégiant une étymologie descriptive (à la même époque à Rome, l'hippotigre, cheval-tigre, cité lors des Jeux de Caracalla était vraisemblablement un zèbre) et faisant fond sur des similitudes réelles ou supposées avec tel ou tel : le cou, la démarche et la rumination du chameau, le pelage tacheté et la facilité de domestication rappelant le léopard. C'est cette dernière version qui fit florès et perdura.
Les Romains en produisent également lors de processions triomphales à partir du triomphe de César (46 av. J.-C.), comme en témoigne une peinture murale du columbarium de la villa Pamphili à Rome (20-10 av. J.-C.), où un girafeau est conduit en longe par un esclave, et en introduisent dans les jeux du cirque. Ils adoptent la terminologie grecque, transcrite en latin par camelopardalis, puis par les formes tardives et médiévales de camelopardalus, cameleopardalus, camelopardus et autres formes dérivées. Insistons sur le fait que par ce terme la plupart des auteurs classiques et médiévaux n'entendent pas indiquer qu'il s'agit d'une progéniture aberrante, ils savent pertinemment qu'ils parlent d'un animal réel et parfaitement unitaire. Toutefois, quelques rares auteurs obscurantistes pensent qu'il s'agit bien d'un croisement issu de l'accouplement de deux espèces distinctes : nous voici alors face à la créature chimérique née d'une hybridation monstrueuse.
Longtemps, la girafe continue à faire l'objet de descriptions fantaisistes. Quant au mot d'origine grecque, vecteur d'une ambiguïté intrinsèque, il eut une considérable durée de vie : l'édition de 1796 du Dictionnaire de l'Académie française (cote D00074) mentionne toujours l'animal à l'article cameléopard : animal qui a la tête et le cou comme le chameau, et qui est tacheté comme le léopard. On le nomme aussi Girafe.