En quête de Lumières

L'Histoire naturelle générale et particulière de Buffon est un des fleurons de la pensée scientifique et philosophique du siècle des Lumières, au même titre que l'Encyclopédie. Elle est publiée en 36 volumes de 1749 à 1778. Pour le chapitre consacré à la "giraffe", qui paraît en 1765 dans le tome XIII (cote EM0607), Buffon ne dispose alors d'aucun élément concret, autre qu'un os de rayon (os formant la partie supérieur des membres antérieurs et postérieurs des équidés) conservé dans les collections du Cabinet du roi (à l'origine du Museum d'Histoire naturelle). Il précise : On nous a envoyé cette année (1764) à l'Académie des Sciences un dessin et une notice de la giraffe, […] ; nous eussions bien désiré que le dessin eut été un peu mieux tracé, mais ce n'est qu'un croquis informe et dont on ne peut faire aucun usage. Il en est réduit à extrapoler la taille de l'animal à partir de l'os en question et à compiler une documentation ancienne, les récits parfois fantaisistes d'auteurs de l'Antiquité (Strabon, Oppien, Pline) ou les observations de grands naturalistes du XVIe siècle (Alpin, Belon, Gesner).
Mais à partir de 1774, paraissent les volumes de Suppléments, et Buffon, comme il l'explique, se trouve alors en mesure de compléter son exposé sur la girafe: "Nous donnons ici la figure de la girafe [à gauche], d'après un dessin qui nous a été envoyé du cap de Bonne-espérance" (Supplément, tome troisième, Addition à l'article de la Giraffe). Dans les éditions successives des Œuvres complètes de Buffon, les planches consacrées à la girafe se modifièrent au gré de nouveaux témoignages. Au XIXe siècle cependant, ces représentations hasardées trouvèrent une fin : les illustrateurs avaient désormais sous les yeux un spécimen vivant (cf. infra).
Entre-temps, il fut également question de la girafe dans le tome VII de l'Encyclopédie (1767, cote D00007), ainsi que dans le tome VI des planches (1768) ; dans l'avertissement du chapitre Histoire naturelle, règnes animal, végétal et minéral, contenu dans ce volume, Louis Daubenton indique que sa source iconographique et documentaire essentielle a été Buffon. Mais, dans le cas de la girafe (comme nous venons de le voir), Buffon n'a pas été en mesure d'illustrer son article original, et Daubenton a dû chercher ailleurs. Aussi précise-t-il : On ne connaît que très imparfaitement la giraffe. […] J'ai cru devoir donner la figure de cet animal d'après une estampe qui a été faite d'après nature, sur une giraffe qui appartenait au grand Turc, parce que cette figure m'a paru moins mauvaise que les autres ; on trouve cette figure dans l'Histoire générale du Serrail, etc, par Michel Baudier, à Paris, 1631 (M. Baudier, Histoire générale du sérail et de la cour du Grand Seigneur empereur des Turcs, Paris, C. Cramoisy, 1631, 2e éd.).
De 1790 à 1792 paraît la traduction en français du célèbre ouvrage de James Bruce, Voyage en Nubie et en Abyssinie entrepris pour découvrir les sources du Nil, complété par la relation de William Patterson, Quatre voyages dans le pays des Hottentots et la Cafrerie. De ces explorations qui se sont déroulées entre 1768 et 1779, les deux anglais ont rapportés non seulement d'abondantes notes mais des croquis, édités sous forme de planche, dont l'une consacrée à une girafe : en dépit d'un pelage à damiers curieusement géométriques, la justesse dans les proportions, ou le rendu de la tête et du toupet de la queue trahissent l'observation sur le vif. Précisons que Paterson est réputé avoir rapporté la première peau de girafe en Angleterre.