Alexandre Soljenitsyne
A l'occasion de la commémoration du centenaire de la naissance de Soljenitsyne, écrivain russe et dissident soviétique, la Bibliothèque d'histoire sociale vous propose une courte interview de Pierre Rigoulot, directeur de l'Institut d'Histoire Sociale.
BHS - 2018 est l’année de la commémoration du centenaire de la naissance de Soljenitsyne. Pourquoi, selon vous, est-il important de fêter cet anniversaire ?
Pierre Rigoulot - Nous vivons aujourd’hui, en Europe, dans un monde qui n’est pas trop préoccupé par les menaces qui pèsent sur les libertés ou sur la paix. Or, cette période relativement insouciante, nous la devons en partie à cet homme, Alexandre Soljenitsyne, dont nous célébrons le centenaire.
Un tel apport, avouez-le, mérite un « arrêt sur image » en cette fin de 2018 ! Soljenitsyne est l’auteur d’une œuvre qui a contribué à faire prendre conscience du caractère dangereux, militairement parlant, et totalitaire, politiquement parlant, de l’Union soviétique.
Grâce à lui, les dernières illusions sont tombées. Il a donc contribué à la mise en cause de ce système politique et à sa chute, une quinzaine d’années plus tard, en révélant l’énormité du phénomène concentrationnaire soviétique.
BHS- C’est ce que l'on comprend en lisant L’Archipel du goulag, l’œuvre grâce à laquelle, Soljenitsyne est surtout connu en France. Mais en quoi ce dernier témoignage, dont on prend connaissance dans les derniers jours de 1973, est-il si différent des autres témoignages sur les camps en URSS ? Pourquoi un tel impact et quel fut son apport spécifique ?
Pierre Rigoulot - Vous avez tout à fait raison : les témoignages ne manquent pas dès les premières années de la révolution soviétique (les premiers camps ouvrent en effet sous Lénine).
Mais Soljenitsyne – qui a été lui-même un « zek », c’est à dire un détenu dans un camp - ne s’est pas contenté de témoigner : il a enquêté auprès de plus de 200 anciens du goulag.Et puis, c’est un grand écrivain, un grand romancier. Ce qu’il écrit dans L’Archipel passe mieux auprès des lecteurs qu’un rapport neutre ou qu’un témoignage maladroit.
Le style de l’auteur a donc joué dans le succès de L’Archipel, mais aussi son point de vue moral : Soljenitsyne voit dans les camps une raison de rejeter le communisme. Il ne nous dit pas que les camps, c’est peut-être un mal nécessaire pour faire mieux que le capitalisme et qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Les camps, c’est mal, un point c’est tout. Ce fut un choc, croyez moi !
Dernière différence enfin, avec les ouvrages précédents : Les Français, comme l’ensemble des Occidentaux, étaient plus disponibles qu’avant à entendre ce genre de discours au milieu des années 1970. Il y avait eu Budapest en 1956, Prague en 1968. La dénonciation des camps et du communisme était plus audible qu’auparavant !
BHS- Peut-on établir un parallèle avec Les récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, autre grand témoin du Goulag ?
Pierre Rigoulot – Oui sans doute, mais pour dire que ces deux formidables écrivains ne parlent pas des même camps (Soljenitsyne n’a pas connu le club Méditerranée, cependant Chalamov a connu des conditions d’internement bien pires que celles de Soljenitsyne) et ils ne tirent pas les mêmes leçons de leur séjour en camp.
Chalamov parle de déshumanisation progressive des détenus, Soljenitsyne, au contraire, de la possibilité d’une prise de conscience du Mal par le détenu qui peut même découvrir dans cette terrible expérience concentrationnaire les valeurs importantes et…les autres.
BHS - Que pourriez-vous nous conseiller comme autre lecture de Soljenitsyne pour partir à sa découverte ou le redécouvrir ?
Pierre Rigoulot – Sur les camps, et sur ce que je viens de dire au sujet de ce qui le différencie de Chalamov, il faut lire son premier livre, Une journée d’Ivan Denissovitch.
Et pour faire connaissance avec le romancier, je conseillerais Le Pavillon des cancéreux. Ce serait un bon début !
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