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Avènement d'un âge d’or

H. de Balzac, La Peau de chagrin, 1838, F01878
H. de Balzac, La Peau de chagrin, 1838, F01878 © Archives départementales des Hauts-de-Seine

À présent que l'étymologie est acquise et le cadre historique sommairement posé, venons-en à la période, qui se signale par les nombreuses publications évoquées.

Tout d'abord, retour à l'article de Pierre Larousse, précédemment cité : "Que de variations dans la façon de placer ce morceau d'étoffe sur son cou ! Que de savantes combinaisons dans la manière de former le nœud ! On écrivit des traités sur l'art de mettre sa cravate. […] ce fut principalement pendant les trente premières années de ce siècle que la cravate prit [des] proportions ridicules ; et afin qu'elle ôtât absolument au cou, qu'elle avait mission de préserver, tout moyen de se mouvoir, on imagina de la garnir intérieurement d'un col de crin, ou de bandes d'étoffe roide et dure, propre à métamorphoser la cravate en véritable carcan. […] Comme antithèse, on porta aussi la cravate dite à la Colin, c'est-à-dire nouée d'une façon très lâche autour du cou, ou retenue par une bague. […] Vint 1842, et la mode, qui avait tant de fois modifié les dimensions de la cravate, en changea la forme. À la cravate carrée se pliant en triangle, succéda la cravate longue, faisant le tour du cou et se ramenant sur la poitrine, où elle était tenue au moyen d'une épingle d'or ou de brillant. Ce fut une véritable révolution dans la toilette masculine, et la cravate longue aux couleurs chatoyantes régna en despote. Mais un beau jour, la mode capricieuse s'avisa de faire adopter par les élégants une petite cravate, ou plutôt un mince ruban qui, se nouant négligemment sous le col de chemise rabattu, laisse au cou de l'homme toute liberté d'action. C'est un progrès, selon nous ; la cravate est une gêne, un instrument de supplice, et nous pensons qu'entre deux maux il faut toujours choisir le moindre."

Vecteurs essentiels de diffusion, "les journaux de mode, timidement nés à la fin du 18e siècle, se multiplient justement à partir de 1829. S'ils concernent surtout les tendances féminines, on trouve de plus en plus de journaux masculins, comme L'Élégant (1835), Le Musée des Modes (1838), Le Colifichet (1838), Le Lion (1842), Le Journal des quatre saisons (1848), Le Musée des tailleurs (1861), Le Tailleur praticien (1866), L'Homme du monde (1868), etc" (J.-C. Bologne, Histoire de la coquetterie masculine, Paris, Perrin, 2011). Dans ces revues spécialisées, mais également dans de plus généralistes, la cravate, ainsi que la maîtrise qu'il convient d'en avoir, s'affirme comme un sujet incontournable. Pour preuve, dans La Pandore, Journal des spectacles, des lettres, des arts, des mœurs et des modes du 21 octobre 1827, on trouve un "Agenda du fashionable" qui stipule, au nombre des tâches à accomplir, "révolutionner les nœuds de cravate".
Toujours dans la presse, mais plus tardif, l'éphéméride du journal Le Siècle du 18 mai 1854, mentionne : "1636 – Époque de l'usage des cravates en France. Cet ajustement qui venait d'Allemagne fut remarqué pour la première fois le 18 mai 1636 sur des officiers qui revenaient de l'armée d'Allemagne. La première invention en est attribuée aux Croates, qu'on appelait communément Cravates". Si l'excessive précision est sujette à caution, le choix de cet "évènement" pour l'éphéméride de la journée du 18 mai est révélateur de la popularité du sujet.

Cette même année 1854 paraît Histoire philosophique, anecdotique et critique de la cravate et du col, précédé d'une notice sur la barbe, d'un certain Gr. De M[onnier] (Paris, Michel Lévy frères), où l'on découvre, au chapitre intitulé "Monarchie de 1830", une conséquence insoupçonnée de la politique de colonisation : "De jeunes princes élégants, mariant en France la recherche de la toilette de ville au sévère apparat de la tenue militaire, et tempérant au contraire en Afrique la rigidité des règlements militaires par le laisser-aller de la tenue de campagne, contribuèrent puissamment aux progrès que fit alors l'art de se cravater. Grâce à la mode des cravates moins guindées, les cous […] cessèrent d'être engoncés […]. Le col anglais, […] fut bientôt suivi du col américain […]. L'ensemble de cette mode est particulièrement favorable en été, en ce qu'il livre aux brises rafraichissantes le cou, qui étouffait sous l'impénétrable rempart des hautes et grosses cravates d'autrefois".
Ce serait donc aux princes d'Orléans, fils de Louis-Philippe, qu'il conviendrait d'attribuer l'évolution esthétique et, surtout, pratique de la cravate. Si l'hypothèse n'est pas à négliger, elle fournit surtout, indirectement, une indication sur l'origine de la tendance : on peut attribuer l'effervescence autour de la cravate sous la Restauration à l'anglomanie véhiculée par les mouvements de population (aristocratique) consécutifs à l'émigration. Les Orléans n'en sont que l'illustration la plus distinguée socialement, du fait de leur exil prolongé en Grande-Bretagne. En effet, c'est en premier lieu à Londres que les élégants donnent à cette accessoire un rôle capitale, la Restauration important en France les exigences du dandysme anglais. C'est ainsi qu'en 1818 parait à Londres (chez J. J. Stockdale) Necklothitania or Tietania, an Essay on Starchers by One of the Cloth, publication énumérant les diverses façons de nouer cet accessoire. Une première traduction française sort en 1823 : Cravatiana, ou Traité général des cravates considérées dans leur origine, leur influence politique, physique et morale, leurs formes, leurs couleurs, et leurs espèces. Ouvrage traduit librement de l'anglais (Paris, Dalibon, 1823).
À propos des Starchers (starch : amidon, empois),  citons Roger Kempf, "Du Délire et du rien" (dans Sur le Dandysme, ensemble de textes, Paris, Union générale des éditions, 1971) : "que le dandysme soit dans le geste – ou dans le regard – c'est ce que montre le mieux la cravate : de toutes les parties de la toilette, la plus satisfaisante, la plus proche du rien : simple morceau de baptiste, si léger que Brummel avait inventé l'empois, et qui ne prenait forme que par le geste qui la suscitait". Nous ne sommes pas convaincu du bien-fondé de cette attribution (Brummel n'ayant probablement fait, au mieux, que perfectionner le produit), mais cela n'ôte rien à la pertinence de l'analyse.
Ceci étant, notre intention n'est pas de faire la genèse de ce phénomène de mode, en approfondissant ses liens avec le dandysme ou en étudiant les subtiles distinctions entre dandy et fashionable, mais d'évoquer sa place singulière dans le domaine de la diffusion éditoriale, qui aurait pu être qualifiée de nos jours de marché de niche.

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