A l'origine est la croate
Tout d'abord, au cas où le sujet paraîtrait par trop futile, faisons appel à une caution encylopédique de bon aloi, par l'intermédiaire de l'article consacré à la cravate dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, Pierre Larousse, 1866-1876 (t. 5). Où nous constaterons que Pierre Larousse est très critique à l'égard de la cravate, notamment pour des motifs sanitaires : "Cravate, corruption de croate, parce que les Croates ou Cravates introduisirent en France cette pièce du vêtement. Jusqu'au XVIIe siècle, on vit les hommes de toutes les nations rester le cou nu, et personne n'avait soupçonné la nécessité de s'enrouler autour du col une pièce d'étoffe qui a, entre autres inconvénients, ceux de prédisposer à l'apoplexie, de gêner les mouvements du cou et de la tête, d'entraver l'action des organes vocaux et ceux de la déglutition, de mettre obstacle à la libre circulation du sang, etc. Ce fut, dit-on, un régiment de Croates, venu en France sous Louis XIV, qui amena cette mode".
L'information appelle quelques éclaircissements, dont une mise au point chronologique : l'armée royale, que Louis XIII et Richelieu ont engagée dans la guerre contre la Maison d'Autriche et l'Espagne en 1635, dans le contexte global et complexe de la Guerre de Trente ans, avait connu une réorganisation significative (prolongement des séquelles des Guerres de religion). Ainsi, concernant la cavalerie, le roi avait recruté des unités étrangères, au nombre desquelles des Croates, cavaliers émérites.
Selon le Trésor de la langue française, Paris, Gallimard, 1971-1984 (t. 6) : sous l'acception que nous connaissons, le mot se rencontre en 1649 "bande de tissu portée autour du cou [comme en portaient les cavaliers croates]" ; plus loin dans le paragraphe : "issu de Cravate, ethnique "croate" (adjectif avant 1573 […]), les cavaliers croates ayant constitué un régiment de mercenaires dès le règne de Louis XIII (d'où le Royal-cravate, en 1666)".
De nos jours, la Croatie se réclame avec fierté de cette paternité et la cravate a droit à un long paragraphe dédié sur le très officiel site de l'ambassade de Croatie en France
http://www.croatia.org/crown/amb-croatie.fr_rez/www.amb-croatie.fr/croatie/saviez-vous.htm
Ce pays voit notamment en elle l'un des fondements historiques de l'amitié franco-croate.
Par ailleurs, créée en 1997, à Zagreb, l'Academia Cravatica (https://academia-cravatica.hr/home/), organisation à but non lucratif, s'est fixé pour but la sauvegarde et la promotion de la cravate en tant que patrimoine croate et européen. Pour cela, elle multiplie les installations et projets spectaculaires : elle est à l'initiative de la Journée mondiale de la cravate et compte une autre opération emblématique à son actif : "Aujourd'hui, la cravate est devenue un symbole essentiel de la culture croate. Ainsi, après avoir noué en 2003 la plus grande cravate du monde (808 mètres de long et 25 mètres de large) autour de l'arène romaine de la ville de Pula, les Croates instaurèrent en 2008 une journée de la cravate. Celle-ci est célébrée chaque 18 octobre", Marko Sankovic, La cravate, une histoire européenne, publié le 19 avril 2014 https://www.taurillon.org/la-cravate-une-histoire-europeenne-6523.
Avec la création de la marque de cravates de luxe Croata, présente en France dès 2004, la boucle a été bouclée !
http://www.croatia.org/crown/amb-croatie.fr_rez/www.amb-croatie.fr/culture/cravate_croata-renoma2004.htm
Pour la description de cette cravate "originelle", revenons à Pierre Larousse : "Les Croates portaient en effet une bande de linge blanc autour du cou, pour le préserver du froid ; il n'en fallut pas davantage pour qu'on s'empressât d'adopter cette mode, et bientôt les grands ne parurent plus en public sans avoir au cou une petite pièce de mousseline garnie de dentelle, qui prit le nom de cravate. Louis XIV ne manqua pas de se distinguer par la richesse de cette partie du vêtement. […] Aux cravates blanches succédèrent, chez les bourgeois, et plus tard chez le peuple, des cravates de toutes couleurs, qui étaient moins susceptibles de se salir que les blanches. […] La Révolution de 1789, en unifiant le costume, respecta la cravate, qui fut dès lors portée par tous les hommes sans exception, non seulement en France, mais chez toutes les populations européennes".
Complétons l'allusion au règne de Louis XIV en signalant l'existence, à partir de cette époque, d'une charge importante auprès du souverain : celle de "cravatier du roi". Cet officier avait les mêmes entrées chez le roi que les autres officiers de la garde-robe, et jouissait des mêmes privilèges (cf. Joseph-Nicolas Guyot, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en France à chaque Dignité, à chaque Office […], Paris, Visse, 1786-1788, t. I, chap. XXX).
Nous signalons, toutefois, une proposition alternative, ou plutôt complémentaire quant à l'ancienneté de l'objet, et ne remettant pas en cause l'étymologie du nom. En effet, une pièce de linge similaire est attestée en Italie à la fin du 16e siècle, dérivée du focale latin des légionnaires romains : sorte de foulard qui protégeait la gorge.
Diaporama
Voir Aussi
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Journée nationale de la cravate