Le pittoresque en banlieue
Le pittoresque va influencer les styles architecturaux de la banlieue car il nourrit un désir d’évasion par l’architecture. On y voit alors apparaître des villas au style «villégiature», cousines des demeures de bord de mer et des chalets, des villas rustiques aux influences régionales s'étendant jusqu'aux rives de la méditerranée.
Le pittoresque est une catégorie esthétique et artistique née au XVIIIe siècle en Grande Bretagne surtout, associant une représentation romantique du monde et un attrait pour une nature libérée des convenances classiques. Il traite de la composition du paysage, lequel devient un sujet pictural en soi. Les artistes se doivent d’effectuer un Grand tour à travers toute l’Europe, en vue de se nourrir des différentes influences. Ils ramènent des vues paysagères de leur voyage et développent un art de la mise en scène renouvelant le sentiment de la nature et le champ visuel.
Ce courant, très orienté vers l’art des jardins, modifie le rapport à l’architecture. Dès le XVIIIe siècle, on voit apparaître dans les domaines nobiliaires des fabriques, petits édifices s’inspirant de l’antique, et du style anglo-chinois. Le XIXe siècle accentue le goût du mystérieux, le retour au médiéval et le fantastique. On voit apparaître dans les parcs, au-delà des fabriques du XVIIIe siècle, des édicules déployant un univers fantasmagorique très éclectique. La maison principale doit s’inscrire désormais dans ce décor, dépayser et surprendre. Le domaine de la Vallée-aux-loups à Châtenay-Malabry constitue un bel exemple. Dans un autre registre, la transformation du bourg de Plessis-Picquet en Plessis-Robinson, suite à la création d’un restaurant dans un arbre qui permet aux parisiens, le temps d’un week-end, de vivre comme des « Robinson », illustre cette tendance.
La villégiature : une architecture balnéaire présente aussi au « bord des villes »
Les villégiatures, dont l’archétype correspond à l’architecture balnéaire du XIXe siècle s’inscrivent dans la veine pittoresque. Elles combinent un goût pour les volumes complexes, des éléments décoratifs, des références historiques et l’établissement d’une relation différente à la nature. Leur architecture permet de profiter pleinement de l’extérieur grâce à différents éléments : des logettes suspendues d’inspiration Renaissance, des vérandas, des jardins d’hiver, des bow-windows (fenêtres en avancée d’influence anglo-saxonne) ou des baies circulaires.
Ce type d’architecture, initialement destinée au bord de mer, apparaît à la périphérie des villes dans la seconde moitié du XIXe siècle, révélant ce que le développement suburbain doit à la villégiature.
Le service de l’Inventaire de la région Ile-de-France a mis en lumière la spécificité des villages de la région où, dès l’Ancien Régime, la noblesse de robe achète ou se fait construire des maisons de plaisance. Si la pratique de la maison des champs remonte à la Renaissance, elle se développe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ce mouvement se poursuit au XIXe siècle, grâce à la grande bourgeoisie qui acquiert les anciens domaines. Puis il se démocratise, en direction de nouvelles classes sociales.
L’influence de l’architecture balnéaire sur les constructions de banlieue au XIXe siècle est liée au développement de la mode des bains de mer. Cette mode est née en Angleterre au milieu du XVIIIe siècle sous la férule de médecins comme le docteur Richard Russell (1687-1759) qui prônait les vertus thérapeutiques du bain de mer. Elle fait son apparition en France au début du XIXe, sous le premier Empire, à Dieppe, et connaît un réel engouement à partir de la Restauration. À l’instar des villes thermales, le développement de la fréquentation du bord de mer s’accompagne de la création de véritables stations, qui donnent naissance à une architecture singulière.
En 1848, une liaison ferroviaire entre Paris et Dieppe est inaugurée, consacrant définitivement les stations balnéaires. Ce même train qui conduit vers la Normandie traverse l’ouest de Paris et en particulier Colombes, qui n’est qu’à deux stations de la gare de Saint-Lazare. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, petite et grande bourgeoisie cherchent à s’établir aux portes de la capitale pour profiter d’une vie à la campagne, privilégiant la formule architecturale de la villa balnéaire.
Ce type de maison adapté au contexte de la banlieue se caractérise le plus souvent par une construction à deux travées dissymétriques, dont l’une, disposée en avant corps, est dotée d’un pignon. La maison présente en général deux étages. Le second niveau situé sous le toit donne lieu à un savant travail de charpenterie pour créer des toits débordants, des toitures dites anglo-normandes ou des lucarnes aux fermes ouvragées. On peut ajouter différentes variantes, telles que des travées supplémentaires ou des tourelles d’angles qui résultent de l’architecture historiciste.
Les matériaux de construction varient également. Si le modèle d’origine emploie la brique tantôt apparente, tantôt recouverte d’un enduit lisse, on voit aussi apparaître en ville, des versions en pierre de meulière.
Beaucoup arborent fièrement des éléments décoratifs, en premier lieu desquels des céramiques disposées en frise ou, le plus souvent, posées juste au-dessus du linteau des fenêtres.
Exemples d’éléments architecturaux ouverts sur l’extérieur :
• Au 43 rue du commerce, on peut contempler un bow-window agrémenté d’une céramique à motif de glycine.
• La villa du 38 boulevard Gambetta comporte une loggia donnant sur l’extérieur, située au deuxième étage.
• La villa du 10 rue Bosman présente de nombreux balcons de bois, comme la maison du 28 rue du commerce.
Autres éléments architecturaux caractéristiques des villégiatures :
• Les charpentes de type anglo-normandes, si caractéristiques des maisons de la côte, surmontent les murs pignon des maisons comme au 32 avenue Anatole France.
• Des tourelles d’angles, avec leur toiture pointue en pavillon, agrémentent les villas du 34 et du 38 boulevard Gambetta.
• Les villégiatures 1900 présentent souvent des décors de céramiques décoratives. La villa située au 52 rue des Gros grès présente une façade en brique avec une fausse baie cintrée sous le comble. Cet artifice met en évidence des céramiques au motif de chardon, situées entre l’arc en plein cintre et la fenêtre. La villa du 20 avenue Menelotte se démarque par d’importantes céramiques situées au-dessus des fenêtres et englobant l’allège des baies supérieures. Ces céramiques font apparaitre un mélange de décor floral et de décor au vocabulaire historiciste traité en cartouche.
Une grande villégiature située le long de la ligne de train :
• Dans un registre architectural bien différent on peut admirer la très belle maison de plaisance située au 20 avenue Anatole France. De style palladien, elle est située en retrait de la rue avec un grand jardin. Construite en brique et pierre sur un plan carré, elle dispose de nombreux décors sculptés et d’une corniche à modillon, surmontée d’une balustrade d’attique.
Chalets et cabanes
Dans le cadre du développement de résidence en pleine nature, les chalets offrent un autre modèle architectural employé pour la construction résidentielle aux environs de Paris.
Il en existe des versions très sophistiquées dans les Yvelines : de grands et beaux chalets en bois aux toitures habillées d’éléments décoratifs sculptés. Ils constituèrent un type de villégiature souvent construit en bord de Seine. Le Val-d’Oise était également doté de ces demeures sur les bords du lac d’Enghien.
Les chalets encore visibles aujourd’hui à Colombes sont des constructions nettement plus modestes. Dans la veine du pittoresque rustique, ils constituent une catégorie de pavillons de banlieue. Le rêve de la maison de campagne est ici adapté à toutes les bourses : cabanon provisoire, en attendant une construction définitive, ou cottage suburbain utilisé uniquement le week-end.
On en trouve de plusieurs types : tout en bois, en bois et brique ou encore de style rocaille. Ce style, constitué de faux éléments en bois réalisés en ciment, fût très en vogue sous Napoléon III.
Inventé initialement pour l'aménagement des parcs publics, notamment pour créer du mobilier de jardin, il était également employé pour réaliser des gloriettes et des constructions légères. Puis avec cette technique, des constructions destinées à l’habitation apparaissent, sorte d’abris de jardin réalisés pour être des chalets de week-end et finalement transformés en résidence principale. C’est à l’entreprise Tricotel que l’on doit l’invention du faux pan de bois en ciment.
On peut encore voir à Colombes quelques rares exemples de pavillons d’habitation construits avec cette technique, qui a sombré dans l'oubli après la seconde guerre mondiale.
Tout aussi rares, les chalets construits pour les jeux Olympiques de 1924 organisés à Colombes furent ensuite utilisés pour des habitations et dispersés dans la ville.
Quelques exemples de chalets et cabanons à Colombes :
• Dans le style rocaille, employant les techniques des abris de jardins, on trouve les constructions du 20 rue Guerlain et du 17 avenue Bontemps. Cette dernière est posée sur la parcelle d’une maison plus importante, elle a probablement servi de maisonnette en attendant sa construction ou bien de logement complémentaire.
• Au 5 rue du général Crémer, on peut contempler un des plus beaux chalets de Colombes. D’inspiration normande pour les colombages, il reprend une forme de chalet traditionnel agrémenté de bow-windows. Il associe colombages en ciment et balcons en bois. On retrouve le style normand et ses colombages sur une maison nettement plus modeste, au 29 rue des écoles.
• Au 8 bis rue Albert Alain, on peut apercevoir un chalet ancien qui semble être construit en tôle et en bois. La toiture est agrémentée de lambrequins. La construction a probablement été déplacée d’un autre site et remontée sur ce terrain pour précéder ou compléter la maison principale de style néo-mauresque.
Le régionalisme
La modernisation des réseaux de transports, économiques et administratifs crée un nouveau rapport aux territoires. L’accès facilité à ces territoires en modifie la perception; la naissance du tourisme encouragée par les compagnies de chemin de fer engendre une nouvelle approche des cultures régionales.
Le régionalisme est une autre expression de l’éclectisme. Il puise dans des références régionales des éléments architecturaux qu’il réinterprète avec des matériaux contemporains pour créer un nouveau style, comme le néo-normand ou le néo-basque.
Cet aspect de l’éclectisme, qui s’amorce à la fin du XIXe siècle, survit à la Première Guerre mondiale et se prolonge jusque dans les années 50.
Si le néo-normand et le néo-basque constituent l’essentiel de cette tendance, d’autres influences existent. Les toitures d’inspiration franc-comtoise en sont l’exemple, comme au 9 rue Bosman. Cette maison présente une tour adjacente surmontée d’un toit à l’impériale comme on peut en trouver sur les clochers de Franche-Comté, même si l’architecture française du XVIIe siècle atteste de l’utilisation courante de ce type de toiture.
Néo-normand et néo-basque
Le régionalisme de la fin du XIXe s’est approprié l’architecture balnéaire de la côte Normande. Cette architecture éclectique a su adapter des éléments traditionnels normands aux besoins des stations touristiques. Elle a emprunté les colombages à l’architecture normande dont elle a habillé tout ou partie des façades des villas, notamment les murs pignons. En combinant ces éléments avec des soubassements ou des premiers niveaux en brique ou en pierre et de hautes toitures, elle a pu développer des volumes nouveaux. Si le néo-normand s’affiche dans les villas de riches propriétaires ou les édifices publics, il se diffuse progressivement et participe au développement des maisons sur catalogue.
Le néo-basque s’affirme quant à lui des années 1930 aux années 1950. Cette variante esthétique se caractérise notamment par des maisons comportant une toiture à deux pans asymétriques. Les matériaux employés vont évoluer pour faire place au béton.
Le pavillon de banlieue sur catalogue devient une construction en dur où les colombages ont perdu leur fonction architecturale et structurelle et vont demeurer purement décoratifs.
À Colombes, on peut observer de nombreux pavillons de ce type. Pour le style néo-normand : 5 rue du Général Crémer, 40 et 45bis rue Labouret, 88 et 90 rue Félix Faure,1bis avenue des Mont clairs, 49 rue Pierre Geofroix. Pour le style néo-basque : 49 rue des Gros grès.
Influences européennes
L’architecture de style régionaliste côtoie des styles venus également de l’étranger.
Le style néo-flamand avec ses pignons en gradins très caractéristiques se retrouve dans l’ensemble de maisons des numéros 20 à 26 de la rue des Glycines, au 53 rue Hoche et enfin à la maison située à l’angle de la rue Pierre Curie et Édouard Vaillant.
Le pittoresque méridional, autre transcription du régionalisme, apparaît dans les influences italiennes et méditerranéennes occupant une place particulière à Colombes. Quelques exemples singuliers à Colombes :
• La très belle villa du 31 avenue Anatole France. Cette maison constituée de deux corps hauts de bâtiments perpendiculaires est dotée de toitures plates et d’encadrement marqués de couleur rouge très méditerranéens. Une frise s’inspirant du motif à clé grecque et des fenêtres jumelées disposées sur un avant corps complètent l’ensemble.
• L’exubérante villa du 193 rue des voies du bois, dotée d’un campanile et de gardes-corps en claustra de tuiles aux accents méditerranéens.
• Le lotissement réalisé par Juste Lisch, rue saint Hilaire et rue Saint-Lazare pour la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest où des influences régionalistes diverses s’expriment : la présence de toits surbaissés sur une partie des corps de bâtiments renvoie au paysage italien.
• Le jeu savant de l’appareillage de la brique en « engrenage » emprunté à l’art roman du numéro 1 de la rue Pierre Virol.
• Les arcs en plein cintre qui couronnent de nombreuses ouvertures se combinent avec des enduits rouges, comme au numéro 10 de la rue Pierre Virol, et font songer à l’Italie.
