La prière et l’intériorité
Le livre d'heures traduit la recherche, novatrice, d'une prière "de cœur" : à la fin du 15e siècle, cette forme d'oraison est privilégiée par l'Eglise, de préférence à la récitation toute extérieure de formules. Il est éclairant que l'ultime prière du livre d'heures, qui fait office de profession de foi, soit en français et commence ainsi "je crois de cœur et je confesse de bouche". Prière de cœur donc, assurée par la compréhension du texte en vulgaire, et prière orale sont ainsi couplées pour permettre au chrétien de professer publiquement sa foi, en particulier avant de mourir.
Reflet d'un contexte spirituel invitant à mieux prier, ce livre d'heures adopte un plan un peu rénové par rapport aux livres d'heures manuscrits : Homme anatomique / Calendrier / Extraits des évangiles / Heures de la Sainte Vierge / Psaumes de la pénitence / Litanies / Offices des morts / Heures de la Sainte Croix / Heures du Saint Esprit/ Suffrages (oraisons diverses à la Trinité, à la Vierge et à différents saints, rubriquées en français) / Extraits de psaumes / Prières pour se préparer à la messe / Prières pour le samedi (jour consacré à la Vierge) / Offices pour le jour de l'Immaculée Conception / Oraisons (pour les dix milles martyrs, pour les sœurs de la Vierge Marie, etc) / Oraisons très dévotes au Christ outragé et crucifié et à Dieu le Père (en français).
Parmi les éléments nouveaux : l'almanach, qui donne les fêtes mobiles, les années bissextiles, le nombre d'or et la lettre dominicale ; l'homme anatomique, avec lequel le livre d'heures s'ouvre aux conceptions médicales de son temps et en assure la diffusion. Mais la modification la plus significative est liée à l'introduction de l'office de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie. Culte tardif né en Angleterre au 12e siècle, il fait l'objet de vives controverses. Quoique non reconnue comme dogme de l'Eglise catholique (elle ne le sera qu'en 1854), l'Immaculée Conception est presque officialisée par Sixte IV, qui approuve deux offices dans les années 1470 et 1480.
L'introduction de prières à dire avant et pendant la messe est un autre point novateur. Le libraire, traduisant sans doute la demande de sa clientèle, semble y accorder une certaine importance, puisque le titre indique "cum preparatione misse". En effet, la prière de cœur concerne non seulement les dévotions privées mais aussi la participation à la célébration de l'Eucharistie. Dès le folio 088, différentes rubriques indiquent au fidèle les moments importants du culte et les prières à dire pour s'y associer. Les prières de préparation (le Veni Creator et différents psaumes) sont présentées après les prières à dire pendant la messe. La présence de ces prières, quoiqu'encore discrète, dénote un souci de préparation de l'âme au sacrement et d'une participation plus intime des fidèles aux différentes étapes de la célébration. Textes non liturgiques, ils sont laissés à l'appréciation des libraires ou des éditeurs. Dès lors, au-delà des volontés unificatrices de la liturgie romaine, le vécu de cette liturgie par le fidèle varie selon les choix de prières effectués par le libraire-imprimeur. L'Eglise n'aura de cesse, dès la seconde moitié du 16e siècle, d'imposer une norme pour unifier ces oraisons. Notre ouvrage s'insère donc dans un mouvement éditorial qui reflète les aspirations spirituelles de ce début du 16e siècle en quête d'une vie chrétienne plus authentique.