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«François d’Assise est un
prophète, c’est-à-dire
quelqu’un qui était en avance
sur son temps. »
Quelles ont été vos
sources?
Il y a deux façons de connaître Fran-
çois d’Assise. D’abord en étudiant
ses écrits : il a laissé des lettres et une
règle qui jusqu’à récemment
n’avaient pas été beaucoup utilisés.
Et puis, il y a les « légendes », c’est-
à-dire les vies de saints qu’on lisait
dans les couvents et les églises.
François d’Assise a tellement mar-
qué ses contemporains qu’en l’es-
pace d’une quarantaine d’années,
dix vies ont été écrites sur lui par des
auteurs différents. Nous avons donc
entre nos mains une masse de do-
cuments.
votre ouvrage est aussi
une réFlexion sur l’image
du saint ...
J’ai écrit une première partie sur la
vie de saint François, de sa nais-
sance à la veille de sa mort, en es-
sayant d’inscrire le personnage dans
son contexte historique.
La deuxième partie commence avec
l’orchestration de sa mort en 1226 :
François d’Assise veut laisser un
message. Il demande à être ramené
dans son premier ermitage pour
mourir dans la pauvreté. Le Pape
décide de le canoniser deux ans plus
tard et fait écrire une première vie
de saint François, qui fixe son
image. Cela provoque une réaction
en chaîne. François est mort à 44
ans. Beaucoup de témoins vivants
lui ont survécu et trouvent cette vie
officielle trop conventionnelle. Ils
réagissent en écrivant d’autres bio-
graphies qui disent des choses dif-
férentes.
Dans une troisième partie, j’ai étu-
dié l’image de saint François depuis
la fin du Moyen Âge jusqu’à nos
jours. C’est la partie la plus neuve
parce que cela n’avait jamais été fait.
Je conclus avec une analyse de ses
écrits pour dégager une idée de sa
personnalité. Je le définis comme
un prophète, c’est-à-dire comme
quelqu’un qui était en avance sur
son temps.
Quel genre d’homme était
François d’assise ?
C’est un laïc. Il vient d’un milieu
bourgeois puisqu’il est le fils d’un
marchand drapier. Au début de sa
vie, il vit comme un noble et a tout
un programme d’ascension sociale.
Il veut devenir chevalier, briller sur
les champs de bataille, peut-être
faire un beau mariage. Tout cela
s’arrête parce qu’il se sent appelé à
autre chose.
Peut-on parler d’une conver-
sion ?
Je préfère le mot retournement
parce que la conversion estquelque
chose de brutal qui se fait du jour au
lendemain alors que François d’As-
sise cherche sa voie pendant trois
ans, jusqu’au moment où il ren-
contre les lépreux. Comme tout le
monde, il est dégoûté, mais il fait
un effort et va vers eux. C’est alors
qu’il se sent transformé et décide de
entretien
Vallée-aux-Loups
vivre avec les pauvres, comme les
pauvres. C’est sa première expé-
rience religieuse décisive.
Quelles étaient ses rela-
tions avec l’église ?
François se place sous la protection
de l’évêque mais il se sent trop in-
digne pour être prêtre et ne veut pas
se fairemoine parce que lesmoines
étaient riches et puissants. Dans les
villes, il prêche la conversion, il in-
vite les gens à changer devie, à faire
la paix, à renoncer aux biensmal ac-
quis. Peu à peu, des personnes le re-
joignent. L’Église se rend compte
qu’elle aurait tort de se priver de ce
mouvement qui se développe. Fran-
çois lui est très fidèle, mais il estdé-
chiré. Il désire respecter la révéla-
tion qu’il a reçue de Dieu sur la
manière dont il doit vivre, mais en
même temps, il doit se plier aux exi-
gences de l’institution. Celle-ci a des
règles. Elle veut, par exemple, trans-
former son mouvement en ordre
religieux et enfermer les femmes
dans des monastères.
PourQuoi François d’assise
Fascine-t-il encore, huit
siècles aPrès sa mort ?
Pour les uns, François d’Assise est
un héros de la pauvreté. En Amé-
rique du sud, un mouvement, la
Théologie de la libération, le prend
commemodèle et veut rendre leur
dignité aux pauvres. Pour d’autres,
c’est dans le domaine écologique
qu’il sert d’exemple, parce qu’il a été
le premier à ne pas établir de rup-
ture entre le monde animal et le
monde humain. Un autre courant
s’inspire de François en tant
qu’homme de paix. En 1219, il ac-
compagne les croisés. Il comprend
que la guerre ne va rien résoudre et
se rend seul au camp du sultan avec
qui il discute pendant deux jours.
Cela n’amène pas les musulmans à
se convertir, mais c’est la première
fois que chrétiens et musulmans
dialoguent sans s’entretuer.
n
Patrick Devedjian,
président du conseil
général, et Marc
Fumaroli, président
du jury, ainsi que
Christian Dupuy, vice-
président du conseil
général (à droite), lors
de la proclamation
du Prix Chateaubriand
à La Vallée-aux-Loups
le EI novembre FDED.
© CGKF/Olivier Ravoire
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