revueculturellen4 - page 76-77

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e poète Théophile Gautier, né
à Tarbes le 31 août 1811, est
mort dans cette maison le 23
octobre 1872 »
: une plaque
le rappelle sur la façade du
32 rue de Longchamp, seul vestige de
cette maison carrée au vaste jardin où
Gautier s’installa au printemps 1857,
poussé par les directeurs de son journal ,
le
Moniteur
qui le souhaitaient pour
voisin. Deuxième point d’ancrage, celui-
là définitif, sur le territoire des futurs
Hauts-de-Seine : une dizaine d’années
plus tôt, son père, Pierre Gautier, ancien
contrôleur des contributions, avait pris
sa retraite à Montrouge, dans une mai-
son que l’on peut voir encore à l’angle
des actuelles avenue Verdier et rue Vic-
tor-Hugo, avec ses deux filles, et il y re-
cevait avec joie unfils déjà célèbre. Havre
de paix dans sa vie de bamboche, de
voyages et de travaux forcés de plume,
Gautier aimera s’y retrouver parmi les
siens. En 1857, c’est avec sa compagne, la
cantatrice Ernesta Grisi, ses deux filles
Judith et Estelle qu’il emménage dans
la maison de Neuilly. Judith Gautier
l’évoque dans ses souvenirs : «
Elle était
bien lointaine, bien petite, bien médiocre ;
mais le jardin était très séduisant, et mon
père signa le bail qui l’exilait de Paris
».
Exil très relatif, Gautier gardant un pied-
à-terre près de l’Opéra-Comique, prétex-
tant des sorties tardives à quoi le con-
traignaient ses devoirs de critique
dramatique. Et puis, Neuilly est, Judith
toujours, «
la campagne à Paris
», avec le
jardin planté de peupliers et la Seine
toute proche en contrebas.
la « petite Maison » devient vite
un Musée aMical
La «
petite maison
» devient vite unmu-
sée amical, ornée des œuvres d’artistes
que Gautier, qui s’est rêvé lui-même
peintre et dessinateur, a inspirés, encou-
ragés ou protégés : Chassériau, Dela-
croix,Théodore Rousseau... C’est lamai-
son du bon Dieu, ou presque : Émilie et
Zoé Gautier viennent chaque semaine
de Montrouge toucher la pension que
leur fait leur frèreThéophile ; et puis les
bonnes, les chats, les amis, peintres et
écrivains autour du rituel risotto d’Er-
le bonheur à neuilly
nesta : Baudelaire, Banville, Flaubert, les
frères Goncourt, Dumas fils, Ernest Fey-
deau, Champfleury, Arsène Houssaye,
Charles Garnier, Puvis de Chavannes,
Gustave Doré…
« Forçat » de la pluMe
L’un des agréments de ces soirées est
sans conteste la présence des deux pe-
tites filles, que leur père avait renoncé à
confier à des institutrices : il avait «
eu un
jour une triomphante idée, celle de faire lui-
même notre éducation
» : trouvant ab-
surde d’«
entasser pêle-mêle dans la mé-
moire des notions succinctes sur toutes
sortes de sujets
», il avait décidé qu’il valait
«
mieux savoir une seule chose à fond, que
d’apprendre par cœur la liste de toutes celles
qu’on ne saura jamais
», et pour point de
départ, il avait choisi l’astronomie :
«
Alors, lui, le forçat de la “copie”, lui qui dé-
testait par dessus tout écrire, même la plus
courte lettre, il se mit à rédiger, chaque jour,
une petite leçon, où il résumait, de la façon
la plus claire, les premiers principes de lamé-
canique céleste. (…) De Paris, il nous appor-
tait des images coloriées, enchâssées dans
du papier noir, et transparentes
». En de-
hors des petites leçons de leur père, les
filles sont laissées à leur «
vie de libre flâ-
nerie
».«Forçat»de la plume,Théophile
Gautier l’est bel et bien, et le plus clair de
ses journées neuilléennes se passent à
son «
chevalet de torture
», comme il dira
lui-même : de là sortiront d’innombra-
bles articles, poèmes, récits de voyage, et
tout d’abord son plus grand roman :
Le
Capitaine Fracasse
.
Chaque année, la maison de Neuilly est
le théâtre de réjouissances particulières
pour l’anniversaire du maître des lieux :
c’est ainsi par exemple que le 31 août
1863, deux cents invitations avaient été
lancées : Judith raconte comment l’on
joua deux actes de son père,
Pierrot pos-
thume
et
le Tricorne enchanté
, la troupe
composée de Gautier lui-même, d’Er-
nesta, de ses filles, de Toto (un fils qu’il
avait eu d’une autre liaison) et d’un ami
de celui-ci (que Baudelaire, au dire de Ju-
dith, aurait aimé remplacer).À l’en croire,
le comédien improvisé connut «
un suc-
cès prodigieux
» : Gautier «
tirait son plus
irrésistible effet de brusques changements
de voix (…) dont le contraste était d’un co-
mique extrême
».
UN hoMMe, uN lieu
Neuilly
Il y a deux siècles naissait l’auteur du
Capitaine
Fracasse
. Une exposition au Domaine de Sceaux fête
l’événement. L’occasion de se souvenir de ses quinze
années vécues à Neuilly dans la profusion
et le bonheur.
PTUVUXXS BQYZTSVSZ
ÉRYU[QUW
la jovialité et générosité
« Le bonThéo » était, au témoignage de
ceux qui l’ont côtoyé, la jovialité et la gé-
nérositémêmes. Il avait recueilli un lettré
chinois en exil dunomdeDingDunling,
et c’est ainsi que Judith apprit lemanda-
rin et publiera en 1867 un recueil d’an-
ciens poèmes chinois, Le
Livre de Jade
,
qui connut ungrand succès. L’année pré-
cédente, à vingt et un ans et en l’absence
de son père, qui désapprouvait sa déci-
sion, elle avait épousé à la mairie de
Neuilly (avec pour témoin Flaubert) le
poète CatulleMendès, qui devait la ren-
dre trèsmalheureuse avant de se séparer
d’elle, comme Gautier l’avait deviné.
La guerre de 1870 sera fatale à Gautier.
Il est à Paris pendant le siège, ne retrouve
Neuilly qu’au printemps 1871, alors que
la Commune fait rage. Dans
lesTableaux
du siège
, il se fait le témoindes ruines en-
core fumantes, propose que l’on garde
Saint-Cloud «
comme une Pompéi de la
destruction
». C’est la fin d’unmonde, ce-
lui de sa jeunesse ; sa santé s’altère, des
attaques successives le condamnent
bientôt à l’aphasie, puis à l’immobilité ;
le matin du 23 octobre 1872, il ne se ré-
veille pas. Il avait soixante et un ans.
Une foule immense accompagnera de
l’église de Neuilly jusqu’au cimetière
Montmartre, son convoi croulant sous
les violettes.
n
© Archives municipales de Neuilly-sur-Seine
Des livres
Les
Œuvres poétiques complètes
de
Théophile Gautier sont disponibles aux
éditions Bartillat et ses
Romans, Contes
et Nouvelles
dans la Bibliothèque
de la Pléiade (Gallimard).
ThéophileGautier,
Histoire du
romantisme
suivie de
Quarante Portraits
romantiques
, édition préfacée et établie
par AdrienGoetz,Gallimard, «Folio
classique», 657 pages,
Stéphane Guégan :
Théophile Gautier
,
Gallimard, 700 pages, 35 €.
« De son
chevalet de torture
sortiront
d’innombrables articles, poèmes, récits
de voyage, et tout d’abord son plus grand
roman :
Le Capitaine Fracasse
. »
«
Le cabinet de
travail de Théophile
Gautier et la
chambre où il
a rendu le dernier
soupir, 32 rue
de Longchamp,
à Neuilly-sur-Seine ».
Théophile Gautier en
famille à Neuilly-sur-
Seine (vers 1857)
L
une expo à Sceaux
« Théophile Gautier dans son cadre »,
une exposition organisée par le
Conseil général des Hauts-de-Seine.
Écuries du Domaine de Sceaux.
Jusqu’au 9 janvier 2012. Tous les jours
sauf le mardi de 10h à 13h et de 14h
à 17h, le week-end de 10h à 17h.
Visites libres : 4€ - Tarif réduit : 2,50€.
Visites guidées, réservation
au 01.41.87.29.71
© Archives municipales de Neuilly-sur-Seine
Théophile GauTier
ou
1...,56-57,58-59,60-61,62-63,64-65,66-67,68-69,70-71,72-73,74-75 78-79,80-81,82-83,84-85,86-87,88-89,90-91,92-93,94-95,96-97,...106
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