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On ne s’improvise pas
directeur d’un tel institut, quel est vo-
trre parcours ?
Bien sûr, cela suppose un intérêt voire
une passion pour ces domaines. Chez
moi, c’est peu dire que cela remonte loin.
J’ai été un étudiant puis un jeune profes-
seur de philosophie passionné par la
« révolution culturelle » chinoise.Aumi-
lieu des années 1970, j’ai étémembre du
comité de direction des Temps Mo-
dernes, la revue de Sartre et Simone de
Beauvoir. Puis j’ai rompu avec eux lors
des prémisses de l’effondrement du
communisme européen. Je ne voulais
pas me prononcer une fois de plus pour
le « vrai » socialisme contre celui, si dé-
cevant, que la vie réelle nous proposait.
L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne,
les dissidents, Solidarnosc, qui réintro-
duisaient l’éthique en histoire et en poli-
tique, m’ont remis d’aplomb.
Je me suis mis à travailler à fond sur le
système soviétique. J’ai publié plusieurs
livres sur la répression enURSS et sur les
illusions suscitées en France par le ré-
gime soviétique. C’est à cette occasion
que j’ai découvert la très riche biblio-
thèque de l’Institut d’Histoire sociale
bien que victime du vol des archives
Pierre rigoulot :
«Notre cœur bat
au rythme de l’histoire»
Trotski en 1936 et du pillage par les nazis
en 1940.
Après la mort de son fondateur, Boris
Souvarine, en 1984, l’Institut créé cin-
quante ans plus tôt, s’est réorganisé. Il
avait besoin d’un bibliothécaire. Je me
suis proposé. Après l’enseignement, ma
deuxième vie professionnelle commen-
çait. Et jeme suismis à écrire avec plaisir
dans la revue de l’IHS et à organiser des
conférences. Ce furent des années d’ap-
ENtRetieN
Nanterre
L’Institut d’Histoire sociale, basé à Nanterre,
se consacre depuis plusieurs décennies à l’étude
de l’histoire du communisme, du socialisme
et du syndicalisme. Entretien avec son directeur,
Pierre Rigoulot, écrivain et chercheur.
prentissage passionnantes.Mais au tour-
nant des années 80 et 90, le commu-
nisme s’est effondré comme un château
de cartes enEurope. Parmi nous, certains
voulaient tout arrêter et mettre sur la
porte un panneau « fermé pour cause de
victoire » !
D’autres, dont j’étais, jugeaient qu’il fallait
continuer, que le système communiste
restait à comprendre et que son histoire
était mal connue.
Il faut reconnaître que dans le même
temps le public étudiant s’intéressait
moins à l’histoire du communisme et
que les gens qui nous soutenaient
jusque-là ne ressentaient plus la néces-
sité de continuer. Heureusement, le
conseil général des Hauts-de-Seine a
débloqué notre situation. Il a compris
l’intérêt d’accueillir un tel lieu de mé-
moire et d’histoire du communisme et
du socialisme. Nous avons légué tout
notre fonds aux Archives départemen-
tales et nous nous sommes installés à
Nanterre, où l’accès de nos fonds est ou-
vert au public le plus large. Nous y pour-
suivons notre travail de mise en valeur
des collections etmenons nos investiga-
tions dans un état d’esprit nouveau.
Qu’entendez-vous
par « esprit nouveau » ?
Essentiellementune approcheplus scien-
tifique que militante, tournée vers la
connaissance et la mise à disposition de
nos fonds aux chercheurs de touthorizon
Vous n’avez pas abandonné vos convic-
tions pour autant…
Non, bien sûr. Et je l’ai montré en pu-
bliant des ouvrages accablants sur Cuba
et sur la Corée du Nord. Mais quand j’ai
été élu directeur de l’IHS, j’ai cherché à
asseoir une nouvelle approche, moins
tournée vers le communisme que vers
le totalitarisme. Cela correspond à ce que
je pense profondément : en 2000, j’ai pu-
blié avec un chercheur belge, une des-
cription réfléchie de tous les systèmes de
camps dans lemonde. Il n’y a pas seule-
ment les camps soviétiques ! Nous par-
lons longuement aussi des camps nazis,
des camps produits par les dictatures et
même par les démocraties.
Le totalitarisme est toujours
d’actualité…
L’Institut d’histoire sociale est un lieu où
l’on est à l’écoute dumonde. On entend
son cœur battre. Ce qui apporte des joies
– comme lorsque ont éclaté les révolu-
tions à l’Est de l’Europe en 1989 – ou de
vilaines angoisses. Je me souviens de
l’édito que j’ai consacré dans notre revue
à l’attentat du 11 septembre.
Cette écoute de l’histoire enseigne un
« L’IHS contribue à la nécessaire
réflexion de fond sur la nature
de la démocratie, ses conditions
d’exercice, les dangers qu’elle court,
les antidotes au totalitarisme. »
certain humanisme : les hommes sont
emportés par le flot de leurs passions, par
des événements qui les dépassent. Ils vi-
vent aussi des moments formidables,
mais qui retombent vite. Malgré tout, ils
recommencent, s’enthousiasment à
nouveau puis grognent ou se mo-
quent…Voyez l’immense espoir suscité
par l’élection de Barak Obama. Où est-il
aujourd’hui ? Voyez la joie accompa-
gnant les révolutions arabes, l’avène-
ment de la démocratie, etc. Je ne juge
pas, mais l’enthousiasme a fait place à un
sentiment d’incertitude…
Quel est le rôle du directeur
de l’institut que vous êtes?
Plutôt un rôle de coordination car nous
formons une équipe très unie. Qu’on soit
secrétaire, bibliothécaire, chargé des in-
vitations à nos différentes activités, cher-
cheur ou directeur, nous sommes étroi-
tement dépendants les uns des autres.
Pas de recherches possibles sans livres
ou dossiers de la bibliothèque ; mais pas
de bibliothèque vivante et connue sans
public venu à nos conférences, sans lec-
teur de notre revue ou de notre site.
S’il y a une part qui me soit propre, c’est
de représenter l’Institut dans les col-
loques, auprès des institutions avec les-
quelles nous sommes en relation,
comme lesArchives, départementales ou
auprès de la presse. Le directeur se doit
aussi de dégager quelques perspectives
stratégiques. Mais elles sont évidem-
ment discutées en réunion de bureau.
Une « nouvellemouture »
se prépare pour l’institut,
quel sera son intérêt?
L’Institut apportera sa contribution au
rayonnement culturel des Hauts-de-
Seine. Mais si nous nous intéressons au
totalitarisme, c’est que nous sommes at-
tachés à la démocratie. Celle-ci est forte-
ment critiquée aujourd’hui. On sent bien
des réserves chez ceux qu’on appelle «
les indignés » mais aussi chez d’autres,
las des scandales évoqués par la presse.
L’IHS peut contribuer à la nécessaire ré-
flexionde fond sur la nature de la démo-
cratie, ses conditions d’exercice, les
dangers qu’elle court, les antidotes au
totalitarisme.
n
CG92/Jean-Luc Dolmaire
Propos recueillis par Hervé Colombet
L’Institut d’Histoire sociale (IHS) est une associa-
tion régie par la loi de 1901. Son président est le
grand historien Emmanuel Le Roy Ladurie.
«La Souvarine », bibliothèque de l’Institut, est ou-
verte au public tous les jours de 13h à 17h. Et lema-
tin sur rendez-vous. Tél. 01 46 14 09 32). Pour en sa-
voir plus :
bio - biblio
Pierre rigoulot
Des Français au Goulag
(Fayard 1984)
La tragédie des Malgré-nous
(Denoël 1990)
Les Paupières lourdes (Éd. universitaires 1993) :
une histoire des aveuglements et de la prise de
conscience de l’existence du Goulag par les
intellectuels français.
Les Aquariums de Pyongyang
, avec Kang Cheol
Hwan, (éd. Robert Laffont 2000).
Le Siècle des camps
, (J.C. Lattès 2000, avec Joël
Kotek) : Une histoire générale des camps
d’internement, de concentration et
d’extermination.
Corée du Nord, État voyou
(éd. Buchet-Chastel,
2003, réédition 2007
La véritable histoire d’Ernesto Guevara
(éd.
Larousse 2010) : déconstruction d’un mythe.
Depuis 1002 directeur de l’Institut d’Histoire
sociale et de la revue
Histoire et Liberté
.
Collabore aux revues
Histoire et Liberté,
L’Histoire, Politique Internationale, Commentaire.
© CG92/Jean-Luc Dolmaire
© CG92/Jean-Luc Dolmaire
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