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Hauts-de-Seine
Politique culturelle
Déambulations monumentales
En 2011, leDépartement a souhaité proposer unenouvelle
découverte des arts de la rue et leur donner une plus
grande visibilité. Le festival a donc été revu et concentré
sur trois jours dans un lieu unique : l’esplanade de La
Défense. L’événement estdevenu
LaDéfenseTours Circus
.
Ce nouveau lieu a permis d’innover en présentant des
performances artistiques étonnantes et des déambula-
tions monumentales.
Depuis une trentaine d’années, lesmanifestations consa-
crées aux arts de la rue connaissent un très grand succès
justifié auprès du public.
En s’appropriant l’espace urbain, les artistes ont créé des
formes d’écriture étonnantes qui se nourrissent de toutes
les expressions du spe acle vivant : musique, théâtre,
danse, arts du cirque, opéra, cinéma… Et toujours en
favorisant une dimension esthétique inventive et de
proximité avec le public. L’espace de jeu dans la ville
devient ainsi une scène ouverte à 360°.
UNE SCÈNE OUVERTE À 360°
PASCAL LE BRUN-CORDIER
« L’ART EN ESPACE PUBLIC DOIT CONTINUER À EXPLORER
DES LIEUX OÙ L’ONNE L’ATTEND PAS FORCÉMENT »
Pascal Le Brun-Cordier est directeur duMaster professionnel Projets Culturels
dans l'Espace Public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Beaucoup de villes et de collectivités s'investissent dans
des festivals. À quoi est dû ce succès ?
Le cara ère informel et festif des festivals dédiés aux arts
de la rue explique une part de leur succès. Ils rendent les
villes plus vivantes et attra ives, créent des temps publics
et fabriquent un commun dont nous avons besoin. Ils
sont aussi gratuits pour le public.
Si l’ambition et l’intérêt artistique de ces festivals est
variable, on peut se réjouir que de plus en plus ne se
contentent pas d’aligner des spe acles mais cherchent
à élaborer une relationsingulière avec leur environnement
et tentent d’a iver oude réa iver la dimensionpoétique,
publique et politique de l’espace public.
Depuis quelques années, des programmations hors les
murs se créent dans le cadre de « saisons » sans
dimension événementielle, avec un souci marqué de
toucher la populationplus quedes publics et de construire
un lien sensé et sensible au territoire.
Ces deux approches sont complémentaires : le festival
crée de l’intensité et de l’attra ivité par uneffet de densité
quand la saison favorise des greffes artistiques souvent
plus subtiles et surprenantes.
Quels sont les enjeux actuels et futurs ?
J’endistingue trois. Sur un plan artistique : réussir à créer
des histoires, des images et des situations suffisamment
surprenantes et intéressantes, dans le fond et la forme,
pour qu’elles parviennent à exister dansdes espaces publics
sur-occupés par les puissances de la publicité ou du
marketing territorial, souvent très pauvres du point de
vue de l’imaginaire. Exister poétiquement face à cette
« misère symbolique » (Bernard Stiegler) qui gangrène
l’espace public me semble un enjeumajeur.
Sur un plan culturel : l’art en espace public doit continuer
à explorer des lieux où on ne l’attend pas, comme les
espaces périurbains ou les centres commerciaux, encréant
des troubles ou des chocs poétiques, en faisant vaciller
l’ordinaire et encherchant à toucher les gens qui ypassent,
y vivent, y travaillent.
Enfin, sur un plan politique : comme « l’art est public »,
nous devons continuer à inventer des stratégies
permettant à tous d’en faire l’expérience. Il faut pour cela
que les politiques culturelles soient encore plus attentives
au développement des arts hors les murs !
Propos recueillis par H. C.
Les arts de la rue paraissent être des arts nouveaux et
pourtant ils ont déjà une longue histoire…
Ces formes artistiques appelées « arts de la rue » sont
apparues dans le sillage demai 1968, d’aborddans le cadre
d’un mouvement informel dans les années 1970, puis
comme un se eur progressivement stru uré dans les
années 1980/1990, avec un soutien des pouvoirs publics,
la créationd’institutions, une reconnaissance et une légiti-
mation croissante.
Mais leurs racines sont plus anciennes encore : les fonda-
teurs de cemouvement font souvent référence au théâtre
radicaldesannées1960etàl’agitpropdudébutduXX
e
siècle,
voire aux formes qui, au Moyen Âge et dans l’Antiquité,
ont précédé l’installation du théâtre dans un espace clos.
Quelle est leur nouveauté ?
Ils envisagent « la ville comme une scène à 360 degrés »
et veulent toucher un « public-population » selon les
formules de Michel Crespin, un des pionniers de ce
mouvement. Pour une part, ce sont des arts contextuels,
qui font de la ville leur terrain de jeu et cherchent à
inventer un rapport vif avec les spe ateurs.
L'appellation« arts de la rue » recouvre en fait beaucoup
de thématiques, de manifestations, de diversité…
Les arts de la rue sont très divers, dans leurs formes, leurs
thématiques, leur relation au public ou au contexte... Du
conte urbain à grande échelle de
Royal de Luxe
au théâtre
intime destiné à un spe ateur de la compagnie
La
Passante
, des interventions urbaines multimédias de
KompleXKapharnaüM
aux installations de feude
Carabosse
,
en passant par les « spe acles embusqués » d’
Ici Même
Paris
, les conférences décalées de l’Agence nationale de
psychanalyse urbaine, les installations végétales du
Phun
ou les spe acles néo-forains d’
Annibal et ses éléphants
: le
champ de la création en espace public est vaste.
Les modes opératoires des artistes sont aussi multiples :
certains développent des démarches d’infusionartistique,
en proximité avec les habitants d’un village ou d’un
quartier, lors de temps de résidence de plusieurs mois,
comme
KMK
àNangis ; d’autres choisissent de jouer sans
être annoncés, comme
Opéra Pagaï
il y a deux ans à
Bordeaux avec « laMaison sur l’eau » installée aumilieu
de la Garonne.
© CG92/Jean-Luc Dolmaire
© CG92/Olivier Ravoire
Par Christian Dupuy
Vice-président du Conseil général chargé de la culture, des animations culturelles et du tourisme.
© CG92/Olivier Ravoire
Lors de la
fête
des Vendanges
à
Suresnes.
Octobre 2008.
« Toucher la
population
plus que des
publics et
construire un
lien sensé et
sensible au
territoire. »
Laissant libre cours à la créativité des artistes, cette
manifestation a connu un très grand succès populaire
lors de ses deux premières éditions. Il s’impose déjà
comme un rendez-vous artistique majeur.
Il est important également de souligner qu’aujourd’hui
près de mille compagnies de rue sont a uellement
recensées dans l’Hexagone et que plus de deux cents
spe acles de rue sont créés chaque année, avec l’idée
toujours de faire du théâtre autrement.
De plus, le choix des artistes de jouer dans l’espace public
et de proposer des spe acles gratuitement dans la rue
est aussi motivé par le désir de rencontrer ce nouveau
public, de le surprendre, de l’émouvoir et de le détourner
de son quotidien avec une démarche artistique inno-
vante. Avec souvent à la clé, des moments à la saveur
unique.
Les arts de la rue ont su créer cette relation de proximité
très forte avec le public, mêlant ainsi toutes les diversités
générationnelles, sociales et culturelles.
Mais jouer dans la rue estégalement un vrai défipour les
artistes. Car, à l’inverse du théâtre en salle, les spe ateurs
peuvent quitter la représentation à tout moment…
LeDépartement soutient depuis de nombreuses années
ces arts si populaires. D’abord, avec
Parcs en fête
qui se
déroula chaque week-end de septembre et, depuis deux
ans, avec
La Défense Tours Circus
qui rassemble un très
large public.
Plusieurs villes des Hauts-de-Seine programment éga-
lement des événements dédiés aux arts de la rue et sont
ainsi soutenus par leConseil général. Citons notamment
Parade(s)
àNanterre,
Le Festival desVendanges
à Suresnes,
La Fête des Petits Pois
à Clamart,
Châtillon dans la Rue
,
Les
Soleillades
à Montrouge,
Bains de Rues
à Clichy…
Aujourd’hui, de nombreuses compagnies ont acquis une
envergure internationale: Royal De Luxe, Oposito,Transe
Express, GénérickVapeur, Ilotopie... Nos rues n’oublient
pas non plus ces fanfares, aux compositions instrumen-
tales étonnantes, du jazz-fanfare dans la tradition de la
Nouvelle-Orléans, de la musique manouche avec Yvan
Le Bolloc’h et «Ma guitare s’appelle reviens », ainsi que
ces pièces d’opéra dont la compagnie Off est une figure
de proue.
Nos parcs, nos esplanades, nos cités-jardins savent que
l’art aussi leur appartient.