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pAtrimoine
Antony
Un savoir-faire d’excellence
Il n’est pas étonnant, dès lors, que
dans son
Dictionnaire universel du
commerce
, Savary des Bruslons présente
la manufacture comme
« la plus floris-
sante du royaume »
. En effet,
«les soins,
l’application et les dépenses des
nouveaux manufacturiers »
portent
bientôt
« la perfection de ces ouvrages au
plus haut point de finesse, de blancheur
et de beauté »
. La qualité de la cire et
les savantes techniques des artisans,
rendent, il est vrai, les productions de
l’usine sans égales. Complexe et néces-
sitant des soinsméticuleux, la fabrication
des bougies requiert pour le moins
quatre étapes. Une fois la récolte de la
cire - scrupuleusement sélectionnée -
achevée, cette dernière est traitée dans
la fonderie où s’élabore le travail de
fusion et de purification. Intervient
ensuite le blanchiment à l’herberie, ainsi
nommée
« parce qu’autrefois les toiles où
elles se blanchissent étaient étendues sur
l’herbe »
, les cires étant
« exposées au soleil
et à la rosée »
. Le blanchiment est ulté-
rieurement effectué sur des tables où
sont tendues de grandes toiles
«
pour la
commodité et la propreté »
. Conditionnée
en minces rubans, la cire est exposée
jusqu’à vingt jours ou plus, selon l’enso-
leillement. Le coulage et les finitions,
réalisés à la fabrique, terminent enfin le
processus.
L’ampleur de ces activités trouve bien
naturellement un écho dans l’impor-
tance du domaine, décrit par le même
auteur. La manufacture comporte ainsi
un grand terrain
« qui forme un carré
presque régulier ». «Une partie de ce terrain
est occupée par divers grands bâtiments ; les
uns destinés au logement du maître, de sa
famille et de ses ouvriers ; et les autres où
sont les ateliers et les magasins »
. Outre
l’herberie, on y trouve
« des potagers, une
orangerie, des boulingrins, des vergers, un
grand réservoir, des bassins, des cascades et
plusieurs autres pièces de jardinage pour
l’ornement et pour l’utilité »
. De cette
évocation, il convient de retenir les
appartements du maître
« commodes et
de bon goût »
, les parterres du labyrinthe
« où l’on cultive les fleurs les plus rares »
ainsi que ses bustes et sa statue de
marbre. S’en détache surtout
« lamagni-
fique chapelle »
au sujet de laquelle l’au-
teur ne tarit pas d’éloges :
« Les marbres
et les peintures dont elle est ornée, précise
Savary, aussi bien que la grandeur et
la beauté de son architecture, la peuvent
mettre au nombre des plus belles chapelles
qu’aucun particulier puisse avoir dans sa
maison »
…Ce joyau sera détruit et fera
place à une chapellemoderne édifiée en
1930 par l’architecte Hardy. Celle-ci
abrite toujours les prières des sœurs de
Clunyqui aiment à s’y recueillir et y exer-
cent parfois, comme Sœur Véronique,
leurs talents au psaltérion…
De l’âge d’or à l’agonie de 1884
Si leprestigede lamanufacture à l’époque
des Saint-Gilles force l’admiration, sa
renommée n’est pas moindre dans les
années consécutives au rachat de la
fabrique, en 1737, par Hierosme Trudon,
fils d’un cirier établi rue Saint-Honoré à
Paris. L’activité prospère à cette époque
jusqu’à compter soixante-dix ouvriers. Le
succès est tel que les produits de l’apicul-
ture locale, tradition attestée dès le XVI
e
siècle àAntony, ne suffisentplus à fournir
la quantité de cire nécessaire. La manu-
facture faitalors venir lamatièrepremière
de toutes les provinces françaises, ainsi
que de l’étranger. Elle importe aussi les
mèches de cotondont laqualité rehausse
encore l’excellence des bougies. Fournis-
sant la Cour et les grandes églises de
France, la manufacture maintient ainsi
son activité au plus haut niveau d’exi-
gence, cequi lui vautd’être citéeenexem-
ple en 1762 dans l’Art du cirier de l’ingé-
nieur Duhamel duMonceau.
Témoin de cette époque, une horloge
offerte par M
me
Trudon aux ouvriers est
encore visible de nos jours sur une petite
tourelle carrée recouverte d’ardoises,
surmontant le bâtiment arborant le bas-
relief aux abeilles. Dotée à l’origine d’un
timbre à marteau, elle est à présent
munie d’un mécanisme électrique qui
rythme à nouveau les heures pour les
Sœurs de Saint-Joseph de Cluny.
Pourtant, à la Révolution, il est de fait que
la manufacture a vécu. Quand bien
même la famille Trudon fournit encore
le Roi lors de sa captivité au Temple,
l’usine ne connaîtra plus les heures de
©CG92/OlivierRavoire
gloire passées, intimement liées aux
commandes de la royauté, de la noblesse
et des riches églises d’alors. La produc-
tion de la fabrique perdure encore
jusqu’au XIX
e
siècle, mais en 1884 le
propriétaire Charles Carrière la transfère
à Bourg-la-Reine, signant, à plus ou
moins brève échéance, l’arrêt demort du
magnifique domaine antonien.
Des traces oublieuses du passé
Peude vestiges, hélas, subsistent dupres-
tigieux ensemble que formait la manu-
facture à son apogée, auXVIII
e
siècle. Au
début duXIX
e
siècle, un cadastre indique
que la maison de maître d’origine était
encore debout ; mais un plan postérieur
d’une trentaine d’années, celui de 1842,
montre que le temps a eu raison du bâti-
ment, remplacé entre ces deux dates par
une maison de style Restauration. Elle-
même sera démolie peu après la vente
du parc en 1961 pour laisser place à la
résidence du 49, rue de Châtenay. Aupa-
ravant, les sœurs de Saint-Joseph de
Cluny auront, en 1890, racheté le
domaine pour en faire une maison de
retraite et fait construire la maison
conventuelle, agrandie vers 1930.
Si l’imagination peine de nos jours à
reconstituer l’intégralité de l’imposante
propriété d’autrefois, demeurent, pour y
aider le visiteur, quelques témoins
modestes de la prospérité du site. À
gauche de l’entrée, la petite bâtisse
couverte d’un comble brisé surmonté
de la Trudonne ; à droite de la même
entrée, quelques éléments des com-
muns ayant échappé à la destruction et
singulièrement un petit bâtiment abri-
tant aujourd’hui des activités chorales,
évoquent sobrement le passé. Ce dernier
édifice comporte unemagnifique char-
pente à fermes et voliges en forme de
coque de bateau retournée. L’abreuvoir
de la cour des communs passe lui aussi
pour être ancien, sans que la preuve
puisse toutefois en être faite.
Ainsi, rares sont les traces de l’intense
activité de la manufacture royale. Les
propriétaires actuelles, les sœurs de
Saint-Joseph de Cluny, en perpétuent
pourtant avec bonheur le souvenir par
leur témoignage chaleureux et disert.
NUMÉRO 69
Conservé aux Archives
départementales des Hauts-de-Seine,
un imposant ouvrage relié de cuir,
l’
Atlas d’Antony
, conserve un
superbe plan terrier aquarellé datant
de 1751. Sur ce document, une
parcelle portant le numéro 69
apparaît assez étendue et densément
aménagée pour piquer la curiosité.
Adossés à la voie Chartraine, future
avenue du Bois de Verrières,
bâtiments, vastes parcs et jardins
s’étendent sur une superficie
répertoriée avec précision dans le
libellé de la parcelle : 11 arpents, 54
perches, quinze pieds. De quelle
propriété s’agit-il ? L’atlas nous en
donne, avec les savoureuses licences
orthographiques propres à l’époque,
l’identité. Nous sommes en présence
de la
« Manufacture Royalle pour la
fabricque de la Sire à Bruler »
,
autrement dit de la
« Manufacture
pour le blanchissage des cires et la
fabrique des bougies »
. (Gallimard,
2010).
©GillesVannet -ArchivesdépartementalesdesHauts-de-Seine
Cette charpente de l’un des
communs de l’ancienne
manufacture aurait été
réalisée par des
compagnons charpentiers
de marine à l'occasion de
leur tour de France. D’où
cette forme de coque de
bateau renversée.
À SAVOIR
REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUES
Fontaine, A., Pouzet, A.
:
Antony des origines à
nos jours.
Paris : Connaissance d'Antony, 1987.
Forgeret, Jean-Charles
:
Usine de bougies-
manufacture royale de cire
. Paris : Service de
l'Inventaire général du patrimoine culturel, 1993.
Référence IA00121241
Perrachon, René
: La manufacture royale de cire
d’Antony, in
Antony d’hier et d’aujourd’hui
,
APPA, n°1, 2
e
semestre 1989.
Savary des Bruslons
:
Dictionnaire universel du
commerce
, t.III. Paris, 1730.
1...,64-65,66-67,68-69,70-71,72-73,74-75,76-77,78-79,80-81,82-83 86-87,88-89,90-91,92-93,94-95,96-97,98-99,100-101,102-103,104-105,...122
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