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boulogne
Regards
contrastées, elle a pu vivre le pays de l’intérieur. Sans
opposer nomadisme et sédentarité, Lucile Chombart de
Lauwe nous montre les transformations, les transposi-
tions et les ajustements des manières d’habiter de la
population nomade s’installant en ville. Pour cela, elle
analyse le partitionnement des pratiques domestiques
et sociales entre espace colle if et espace privé. Jouant
du contraste entre les paysages glacés et la chaleur des
foyers, elle cherche également à comprendre comment
la vie familiale s’organise dans l’espace au fil des jours,
des saisons, des générations…
Pierre Reinhard, photographe venu du monde de la
mode, accompagne depuis 2002 la Mission archéolo-
gique française enMongolie. Bénéficiant d’une connais-
sance affinée de ce pays au gré des voyages successifs,
son approche a progressivement changé. Il abandonne
le registre de l’imagerie pittoresque, des clichés présen-
tant le pays des yourtes, des cavaliers et des espaces infinis
pour se consacrer à la réalité de laMongolie contempo-
raine. Pour cela, il cherche à consigner l’attrait qu’exerce
« la modernité » à la fois dans les grandes villes mais
aussi dans les confins des steppes.
A Yin enfin, photographe ambulant, a grandi à un
moment charnière de l’histoire de laMongolie intérieure,
entre tradition nomade dans les steppes et modernité
galopante dans les villes. En 1998, il entreprend un grand
voyage photographique dans les régions frontalières
dunord-est, puis décide de s’y installer. Depuis, il observe,
partage et photographie les modes de vie des derniers
nomades. Cette grande proximité avec les habitants des
steppes et les relations privilégiées qu’il a su nouer avec
eux lui permettent de saisir un univers intime et inédit.
Grâce à ses portraits hiératiques, fixant les indices d’un
présent qui se réinvente en partie à travers des symboles
du passé, il nous dépeint les conséquences dramatiques
des dérèglements climatiques et des politiques foncières
sur lemode de vie des nomades, souvent contraint à l’exil.
© Pierre Reinhard
Tempête de sable.
Au printemps, le temps
est très changeant et
les tempêtes de sable
sont courantes.
Quartier de yourtes.
Lucile Chombart de
Lauwe.
Petite ville de Tsetserleg,
Pierre Reinhard, février
2008.
À la suite de la
confiscation de sa terre
par le gouvernement
local, Alatanhua, 50 ans,
et sa famille ont été
relogés dans une
nouvelle maison par ce
même gouvernement.
Photographie prise lors
du déménagement.
A Yin, mai 2005.
Ridunwula, province de
Xilingol. Mongolie
intérieure.
Le désenchantement des fils de Gengis
Khan
Ces quatre regards nous racontent à leur manière le
désenchantement des fils de Gengis Khan qui viennent
échouer dans les quartiers périphériques d'Oulan-Bator
et ne conservant de leur vie d’avant que la yourte, devenue
unhabitat précaire.Tous dépeignent une « ville-monde »
qui regroupe en son seinplus de lamoitié de la population
d’un territoire grand comme trois fois la France, une ville
palimpseste, où les yourtes recouvrent les cimetières, le
pavillonnaire supplante l’archite ure soviétique, les
banques envahissent le centre-ville…
Tous nous alertent enfin sur ce monde qui change vite,
trop vite peut-être, compensé par uneffort d’ancrage dans
un passé mythique, où les Mongols tentent d’échapper
à la dérive en recréant un lien avec une histoire inter-
rompue. Chacun à leur manière, ils tentent de résoudre
la complexité de l’histoire, sous le regard bienveillant des
ancêtres, où le portrait de Mao côtoie celui de Gengis
Khan sans apparente contra ion.
Ces images nous informent certes sur la réalitémongole
mais, au-delà, nous font partager l’expérience du voyage,
à travers un regard d’abord distancié qui peu à peu
s’acclimate et nous révèle une part de vérité sur leur
auteur. Issues d’une posture profondément compré-
hensive, elles ne présentent jamais un réel travesti pour
correspondre à nos représentations,mais un réel qui nous
touche, malgré la distance, dans lequel on retrouve un
peu de nous-mêmes…
Ces différents travaux nous invitent donc à nuancer à la
marge la Mongolie fantasmatique, refuge pour une
rêverie occidentale enquête d’espaces infinis, de chevau-
chées fantastiques… Il ne s’agit pas pour autant de la
manifestation d’une réalité brutale, stri ement
documentaire, mais bien d’une forme de promenade
sensible, au fil d’un monde qui se transforme, se
réinvente.
Étrangement proche et pourtant radicalement étrange,
la Mongolie reste un mystère pour celui qui n’y est pas
allé.Véritable invitation au voyage, les photographes nous
la raconte ici avec pudeur, sans jamais nous la livrer
complètement, nous la font deviner par touche, aufil des
clichés.
EXPOSITION
« La Mongolie entre deux ères. 1912-1913 »
L’exposition des autochromes de l’opérateur d’Albert
Kahn, Stéphane Passet, continue jusqu’au 31 mars 2013
à l’intérieur du musée.
Du mardi au dimanche de 11h à 18h. Tarif : 3€.
Application Smartphone à télécharger sur
Apple store
et
Playstore
.
Albert-Kahn, musée et jardin
10-14, rue du Port - 92100 Boulogne-Billancourt
Tél. : 01 55 19 28 00 - Fax : 01 46 03 86 59
albert-kahn.hauts-de-seine.net
© Lucile Chombart de lauwe/le bar Floréal
© A Yin
« Ces photographies s’inscrivent
dans l’affirmation d’une écriture
photographique étayée par une
intelligence documentaire. »