Vallée de la Culture n°10 - page 95

95
Réel et informel
Les premiers
Otages
furent dessinés et peints dès 1940,
sous le choc des exécutions perpétrées par les nazis. L’art
européen en sera bouleversé.Michel Ragon estimait alors
que cette série constituait
« le plus beau monument aux
morts de la guerre 39-45 »
. Ému par ces têtes ambiguës,
Francis Ponge écrit :
«Le fusillé remplace le crucifié. L’homme
anonyme remplace le Christ des tableaux. Ailleurs se sont
des saintes faces, dont certaines rappellent tant le linge de
Véronique
(celle qui a pris l’empreinte du visage duChrist,
1948)
»
. L’art informel naît donc de la désintégration des
corps. Rappelons que le terme d’
informel
fut inventé par
Michel Tapié à propos des dessins de Camille Bryen, en
1951. Tapié voyait en Fautrier, Tobey et Michaux des
précurseurs. Il les évoqua dans un article paru en 1953,
dans la United States Lines Paris Review :
« L’art actuel,
n’a plus rien à voir avec le cubisme, ni le surréalisme, mouve-
ments entrés dans l’Histoire, mais dont les suites sommaires
n’ont aucun intérêt…Dada a été la grande coupure avec les
tricheries d’un passé devenu stérile… Seul Picasso continue
sa création hors mesure… Je crois que les premiers artistes,
qui ont œuvré dans cette ère totalement autre, ont été Fautrier
ici et Tobey à Seattle – et aussi Henri Michaux »
… Tout en
se démarquant de ceux qui poursuivront cet art informel
(Wols, Henri Michaux, Hans Hartung), Fautrier aspirait
à revenir au réel :
« La réalité doit subsister dans l’œuvre,
elle est la matière première»
.
Le peintre châtenaysien déclara, peu de temps avant sa
mort :
«À aucunmoment, je neme suis considéré “informel”
et mes recherches ont toujours été vers une figuration libérée
– et qui devait considérer forme ou dessin. Et les expériences
totalement informelles faites unanimement m’ont toujours
dégoûté »
. En 1964, Fautrier soutint, face à Jean Paulhan,
que le véritable informel n’avait pas encore commencé…
Après avoir réveillé la dignité humaine, en donnant
substancenouvelle à lafigurehumaine, l’informel pouvait
élargir l’espace visuel où la liberté respire.
n
« Un génie qui voulait
faire grandir l’art ».
Dessins de nu pour
L’Alleluiah
, catéchisme
de Dianus de Georges
Bataille, 1947.
Encre rouge (ou noire selon
le cas) et fusain sur papier.
© Musée du Domaine départemental de Sceaux/photo Philippe Fuzeau, ADAGP 2014 – visuels presse
1...,85,86,87,88,89,90,91,92,93,94 96,97,98,99,100,101,102,103,104,105,...124
Powered by FlippingBook