Vallée de la Culture n°10 - page 88

maison de
chateaubriand
Romantisme
Vous êtesuncollectionneur passionnépar l’art duportrait
depuis votre jeunesse. Pourquoi cette séduction ?
Les portraits anciens m’ont toujours fasciné par leur
beauté et leur mystère. Enfant, je me demandais, émer-
veillé, comment il était possible de restituer avec autant
de justesse, de réalisme et de précision, sur une surface
plane, un visage humain, un regard, mais aussi les
vêtements et les accessoires de mode.
À une virtuosité technique éblouissante, les artistes de
l’époque pré-romantique et romantique ont ajouté une
dimension humaine et une poésie extraordinaires : une
philosophie nouvelle, une conception autre de la vie,
étayées par des écrivains de génie, insufflent à toute une
générationune priorité absolue : le goût de l’authenticité,
de la simplicité. Le portrait de commande témoigne
encore du rangdumodèle,mais cen’estplus là samission
première : le peintre scrute l’âme, l’individualité de chaque
être ; très souvent aussi, son œuvre reflète un accord
profond entre une personnalité et ce qui lui tient à cœur :
un paysage, une demeure ou un intérieur aimé, la
musique, la le ure, le cercle de famille, un animal…Les
symboles y sont nombreux.
Les portraits romantiques vibrent, ils sont auréolés d’une
forte charge affe ive. Face à eux, notre imagination
s’enflamme, un dialogue silencieux s’instaure, nous
sommes prêts pour un mystérieux et fascinant voyage
dans unpassé encore proche. Unportrait de cette époque
n’est jamais « inanimé », il est l’irremplaçable témoi-
gnage d’un moment de vie capté et transmis par un
peintre poète.
Qu’évoque pour vous le Romantisme ?
C’est un phénomène sans précédent, puisque dans les
années 1830, l’union culturelle de l’Europe était devenue
une réalité. Le pré-romantisme s’est d’abord manifesté
en France, en Angleterre et dans les pays germaniques.
Ce courant s’est amplifié entre 1815 et 1848 et a littéra-
lement submergé tout le monde occidental. En un peu
plus de trois décennies, un souffle d’une force inouïe a
rapproché dans un même élan créateur, une même
ferveur, peintres, compositeurs, musiciens, sculpteurs,
danseurs, artisans d’art, dessinateurs de mode. La vie
artistique n’était pas cloisonnée, on s’appréciait, se fré-
quentait, se critiquait, parfois vivement. L’émulation, la
fougue, la passion dominaient. Idéalistes, les jeunes
Romantiques refusaient les concessions, rêvaient d’un
monde meilleur. Mais leur extrême sensibilité, leur
propension au rêve les rend aussi très vulnérables : les
désillusions engendrent ce «mal de vivre », cettemélan-
colie perceptibles dans la prose et la poésie, les romances,
« lieder », mélodies, les regards de nombreux portraits,
les livrets des premiers « ballets blancs » comme
La
Sylphide
, où brilla Marie Taglioni, et Giselle.
D’autres élémentsme semblent indissociables de « l’état
d’esprit » romantique : un intérêt très vif pour lemoyen-
âge, l’art gothique, la Renaissance, d’où l’apparition du
« style troubadour » ; la recherche d’une vie familiale
simple et harmonieuse, avec des enfants, des animaux,
un jardin…, mais aussi le besoin de solitude, afin de
réfléchir au sens de l’existence, à lamort, à l’au-delà, l’irra-
tionnel, au paranormal ou au fantastique.
Quelles informations apportent ces portraits sur
l’époque de Chateaubriand ?
Lesœuvres littéraires se sont toujours adressées à l’ima-
gination. La magie des mots permet aux le eurs de se
représenter mentalement des personnages dans leur
environnement quotidien. Mais peut-on concevoir un
di ionnaire des noms propres, un manuel d’Histoire,
une biographie sans aucun portrait ? La le ure en serait
extrêmement aride.
À l’époque deChateaubriand, où la photographien’existait
pas, l’art des portraitistes permettait de conserver et de
transmettre l’apparence physique des personnalités et
des hommes et des femmesmoins connus. Posséder son
Portrait d’une petite fille en
robe blanche sur fond de ciel
et de paysage, vers 1845.
Flavien Emmanuel Chabanne
(1799 –1858 ou 1859).
Miniature, aquarelle et gouache
sur ivoire, cerclée d’or
5,2 x 4,2 cm.
Portrait d’Antoine Cloüet
(1796-1810), frère de
Télémaque, vers 1810.
École française, début
du XIX
e
siècle.
Miniature sur ivoire, insérée
dans un médaillon en grènetis
et cannetille d’or, et formant
le centre d’un bracelet réalisé
en cheveux très finement tressés.
4 x 3 cm.
© Studio Sebert
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