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Vallée de La Culture
publie ces quelques « notes de travail »
de l’écrivain Frédérick Tristan, Prix Goncourt ,/.-,
sur le thème de la «
chambre noire de la création
». Un
témoignage sur son aventure littéraire et graphique.
par Frédérick Tristan
noir
sur
© Elisabeth Alimi
Littérature
Bonnes feuilles
L
' art naît souvent d'un grand malheur
ou d'un manque. Pour moi, ce fut l'exode, les Stukas
mitraillant la route, le face à face avec la mort à 9 ans ; la
perte radicale de toutemémoire de l'enfance -qu'ensuite,
longuement, cruellement, patiemment il faudrait
retrouver. Sur la terrible blancheur de l'amnésie, oser
tracer des empreintes qui soient des signes de re-connais-
sance, de re-naissance. Plus tard, adolescent têtu et
tâtonnant, j'écrivis, je dessinai afinde reconstruire unmoi
acceptable face au coma, noir sur blanc. Il ne s'agissait
pas de faire de l'art, mais de tenter d'être.
Face à la hauteur innombrable des bibliothèques, certains
livres privilégiésm'appelaient,me heurtaient,me triturant
me faisaient.D'étranges et fascinantesdélices ennaissaient.
D'autres mondes apparaissaient. L'ailleurs devenait mon
ici. L'intime de l'écriture ouvrait au large. Aussi, le noir
merveilleux des signesme surprenait dans lesméandres
de la conscience, là où le voile blanc des mystères recou-
vre l'indéchiffrable réel, là où le silence se fait parole,
murmure ou cri. Mais qu'est-ce ? Plus j'écrivais, plus les
personnages m'envahissaient, gesticulant, pauvres
marionnettes issues d'unmiroir dont j'étais le reflet. Dès
lors je purifiai l'écrit par le trait, dessins aux yeux fermés
afin d'ouvrir en moi un regard plus affiné.