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fut mon intérêt pour le dessin. Je m'étais passionné très
jeune pour cet art. Lorsque je n'écrivais pas, je dessinais.
Il est vrai que ce furent longtemps des griffonnages.
J'avais osémontrer quelques-unes demes encres àAndré
Breton, qui m'avait conseillé de laisser cours à la liberté
demamain sans aucune idée préconçue. Selon lui, cette
écriture automatique rencontrerait ses formes néces-
saires lorsque j'aurais exténué toute volonté de conscience.
«
Fermez les yeux afin de les ouvrir
». Tels furent à peu près
ses termes. Et donc je poursuivis mes tracés sur
d'innombrables carnets dont certains existent encore
aujourd'hui. Plus tard, je me lançai dans de moyens et
grands formats, délaissant l'encre de Chine pour le
marqueur. J'avais compris que mes dessins tenaient de
la calligraphie – calligraphie d'une écriture inconnue,
mon écriture des profondeurs intérieures aux dimen-
sions forcément oniriques.
Au-delà des ruses automnales du roman, il s'agissait à
travers l'innocence dudessindeme refaire unprintemps.
La compréhension fraternelle des maîtres du Trait
m'honora particulièrement, et m'incita à continuer ma
quête au fil ensorcelé de l'encre.
*
L'Univers invisible, Unesco, 2009
-Mes encres noir sur blanc
tentent de surprendre la trace de vibrations et de struc-
tures invisibles dans la dimension du visible. Ascèse et
épiphanie de l'épure. La ligne somnambule découvre une
forme abstraite, humble et sensible, écriture et pont entre
les espaces intérieurs et stellaires. La caverne de l'être
habite les grands fonds de la psyché aussi bien que les
abysses universels. Témoignage du regard à sa pointe :
l'en-deçà et l'au-delà de l'œil sont l'ici. Nulle frontière de
l'intellect et des sens entre un corps et l'étendue spatiale
et temporelle, entre l'interne et l'externe du vivant.
L'énigme de la pensée propose la véracité d'une empreinte
ajoutée au mystère du Tout. En ce paradoxe la science
et l'art s'accompagnent.
*
Rueil-Malmaison, octobre 2010 – L'exposition
Encres
et écritures
organisée par la médiathèque de Rueil
103
zoom
À propos de...
Mille vies ! Des Ardennes à
l’Asie mystérieuse, entre
affaires et écriture, des livrets
d’opéra aux sociétés discrètes.
Frédérick Tristan a vécu sa vie
comme un « roman foisonnant »
depuis son amnésie subie à la
suite de la Deuxième Guerre
mondiale. Dans ces mémoires,
on pourra comprendre la
genèse et l’évolution de cette
œuvre considérée comme
« puissante ». On rencontrera
les figures d’André Breton,
de Jacques Prévert, François
Augiéras, Gaston Bachelard,
Henry Corbin, Mircea Eliade,
Emmanuel Lévinas… L’histoire
des tribulations d’un homme
qui a eu toujours soif de
l’Ailleurs.
© Elisabeth Alimi
inaugure ma quatre-vingtième année d'existence et ma
soixantième année d'édition avec l'éclat retenu qui me
convient. J'aimerais que les jeunes gens s'inspirent
non de mes travaux, mais de ma passion si durement
construite sur les ruines de mon enfance. Aucune
personne demon entourage ne pouvaitme faire la courte
échelle. J'ai dû gagner mon identité pas à pas. L'écriture
et le dessin m'ont permis d'avancer et de frapper à des
portes qui, sans eux, me seraient resté fermées. Par
violence, onm'avait arraché lamémoire.Monadolescence
se révolta contre le sort qui m'avaitmutilé. Or ce fut cette
mutilation même qui devint mon sauf-conduit. Je
l'intégrai dans le parcours dumétier, la transformant en
œuvre pour apaiser la colère et l'angoisse, me construire
en un ailleurs plus haut que la réalité mensongère.
L'intérêt de l'expositiondeRueilme semble être le témoi-
gnage d'une volonté d'être, face aux chausse-trapes de
l'existence. Voilà tout.
n
* L'autobiographie
Réfugié de nulle part
a été publiée
aux éditions Fayard en octobre 2010.
Pour connaître l’œuvre de F. Tristan :
Vision
de guerre
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