inde
LE HAWA MAHAL
DE JAIPUR
C
ollecter des faits ordinaires de la vie quotidienne
en Inde, telle a dû être lamission prioritaire assi-
gnée à l’opérateur desArchives de la Planète avant
son départ fin 1913. Mais Stéphane Passet – comme les
autres photographes d’Albert Kahn – ne résista pas au
plaisir d’immortaliser les monuments les plus célèbres,
légendaires aux yeux du voyageur occidental : leTajMahal
et son immense bulbe demarbre blanc à Agra ; le Hawa
Mahal et son insolite façade à Jaipur.
Construit en 1799 par le maharajah Sawai Pratap Singh,
leHawaMahal (palais desVents) fascine par l’accumula-
tionde loggias en encorbellement (jharokha), qui lui vaut
d’être comparé à un nid d’abeilles. Paradoxalement, il fut
conçu non tant pour être contemplé que pour dissimu-
ler aux regards les épouses, concubines et filles du ma-
harajah. Tel un décor de théâtre qui feint la profondeur
architecturale, les trois derniers étages de la façade ne
correspondent à aucun aménagement intérieur. Percées
d’écrans ajourés (jali) laissant passer la brise rafraîchis-
sante, les loggias n’ont d’autre fonction que de permet-
tre aux femmes d’assister au spectacle de la rue sans être
vues, une discrétion imposée par la règle de réclusion du
purdah (littéralement « rideau »).
En photographiant l’édifice de biais et à une certaine dis-
tance, Passet met aussi en valeur l’urbanisme de Jaipur,
influencé par le systèmemoghol dubazar (large rue com-
merçante avec linéaires de portiques surmontés d’ha-
bitations).
On la croit souvent habillée de rose depuis sa fondation
en 1727, mais la ville ne revêtit cette teinte qu’une tren-
taine d’années avant la venue de l’opérateur. Elle fut ba-
digeonnée d’un mélange de chaux et de briques pilées
en signe de bienvenue, à l’occasion de la visite du prince
deGalles en 1876. Cette coloration, perçue par Pierre Loti
comme « un étonnant caprice de souverain », devint en-
suite une tradition…moderne.
S
OPHIE
C
OUËTOUX
Attachée de conservation du patrimoine au musée
Albert-Kahn.
Co-commissaire de l’exposition
Infiniment Indes
.
albert-kahn
Chronique de l’œil
106
Autochrome
de Stéphane Passet,
mai 8;8:. Musée
Albert-Kahn.