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boulogne
Saga
Il est possible que l’appellation d’Archives de la Planète
date de lamême époque (le nomdu projet n’estpas attes-
té avant 1912) et ait été inspirée à Kahn par les Archives
de la Parole. Ces archives sonores –qui s’inscrivent dans
la lignée des
Phonogrammarchiv
de Vienne créées en
1899 –sont en effet inaugurées en Sorbonne le 3 juin 1911
par l’historien de la langue française et grammairien
Ferdinand Brunot, soutenu par Émile Pathé. Grâce au
phonographe, Brunot ambitionne de léguer aux géné-
rations futures les diverses expressions de l’oralité
–GuillaumeApollinaire et le capitaineDreyfus laisseront
ainsi à la postérité une trace de leur voix –, avec une prédi-
lection pour les enquêtes destinées à sauvegarder la
mémoire des langues régionales et des patois « qui se
meurent ». Kahn se situeexactement dans lemême esprit
quand, début 1912, il donne aux Archives de la Planète
comme objectif de
« fixer une fois pour toutes des aspects,
des pratiques et desmodes de l’activité humaine dont la dispa-
rition fatale n’est plus qu’une question de temps
1
. »
Quoi qu’il en soit, le banquier réalise que son projet d’in-
ventaire dumonde ne doit pas rester dans la seule orbite
de ses déplacements personnels. Avoir un homme de
laboratoire confirmé et un homme de terrain aguerri
L
e tout début desArchives de la Pla-
nète date de 1909, année où le banquier philanthrope
Albert Kahn recrute son premier photographe profes-
sionnel, Auguste Léon. Il charge d’abord ce dernier, qui
travaille en noir et blanc, d’installer un laboratoire dans
sa propriété de Boulogne. Parallèlement, l’explorateur
photographe Jules Gervais-Courtellemont enthousiasme
Kahn avec ses
Visions d’Orient
–projections publiques de
plaques autochromes – et les clichés en couleurs véri-
tables qu’il réalise sur cesmêmes plaques dans les jardins
du banquier.
Premiers opérateurs
Auguste Léon passe du noir et blanc à l’autochrome et
accompagne désormais Kahn dans ses déplacements
pour commencer à enregistrer en couleurs la mémoire
dumonde. C’estainsi, au cours d’un voyage enAuvergne
l’été 1911, que le fondateur des Archives de la Planète
trouve fortuitement son deuxième opérateur.
ÀClermont-Ferrand, on cherche une chambre noire pour
recharger les châssis de plaques, on avise la boutique
d’une marchande d’appareils photographiques, Marie
Passet. Tandis qu’Auguste Léon s’affaire, Albert Kahn
engage la conversation avec la patronne, lui fait part de
son regret de n’avoir qu’un seul opérateur. Qu’à cela ne
tienne, Marie Passet a la solution : elle lui conseille d’en-
gager son mari, adjudant d’artillerie tout juste libéré de
l’armée… et qui pratique la photographie.
Stéphane Passet est le complément idéal d’Auguste Léon.
Baroudeur dans l’âme, l’ancien militaire aime les défis.
Âgé de 36 ans en 1911, il est partant pour les missions
lointaines et ne dédaigne pas le piment du risque, tandis
qu’Auguste Léon – 54 ans – a un passé de portraitiste en
atelier. Recruté pour installer un laboratoire, il redoute
les expéditions qui le tiendraient longtemps éloigné de
sa famille et excèderaient ses forces.
–Passet pratique la cinématographie en plus de la photo-
graphie – ne suffit pas : il lui faut quelqu’un pour penser
et organiser scientifiquement l’entreprise.
Début 1912, ce pas décisif est franchi : par le truchement
du géographe et géologue Emmanuel Jacquin de
Margerie, Albert Kahn engage comme directeur scien-
tifique le professeur Jean Brunhes.
Les cinq visages de Jean Brunhes
Cet universitaire de 43 ans est d’abord un homme de
science novateur : il a notamment publié en 1910 un ou-
vrage proposant uneméthodologie d’étude des traces de
l’activité de l’homme à la surface du globe :
LaGéographie
humaine. Essai de classification positive. Principes et exemples
.
C’est donc sous l’égide d’une science nouvelle que les
Archives de la Planète vont se développer.
Mais Brunhes n’estpas seulement un savant en chambre.
Il est aussi un homme de terrain, qui pratique depuis
longtemps les enquêtes in situ et la photographie. Il s’inté-
resse également au cinéma et compte Gaumont parmi
ses amis. En septembre 1912, alors qu’il arpentera les
Balkans avec Léon, Kahn lui écrira :
« Je vous félicite pour
votre intéressante et fructueuse randonnée dans l’Est. Les
Albert Kahn et Jean Brunhes ont pour dessein
de
« fixer une fois pour toutes des aspects,
des pratiques et des modes de l’activité
humaine dont la disparition fatale n’est plus
qu’une question de temps. »
Jean Brunhes en habit
d'académicien (élu en
1927 à l'Institut de
France, Académie des
sciences morales et
politiques).
Coll. particulière
Jean Brunhes dans son
bureau de Boulogne,
entre 1925 et 1930.
Coll. Particulière.
Jean Brunhes,
11 septembre 1922.
Auguste Léon.
Le professeur Brunhes
en voiture dans le défilé
de l'Ouadi el-Korn.
Entre Khân Meiselûn
et la frontière libanaise,
Syrie, 8 octobre 1921.
Frédéric Gadmer.
© Musée Albert-Kahn - Département des Hauts-de-Seine
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