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boulogne
Saga
études sur place me paraissent être le seul moyen de faire de
la vraie géographie. Elles prendront toute leur valeur et
produiront leur plein effet [le jour] où ainsi toute notre petite
planète vous sera devenue familière
2
. »
En troisième lieu, la sensibilité de Brunhes s’accorde aux
projets humanistes de Kahn. Lui-même appartient à la
mouvance du catholicisme social. Son épouse, Henriette
Hoskier, a fondé en 1902 la Ligue sociale d’acheteurs,
dans laquelle il estactif. L’originalité de cette ligue estde
promouvoir le passage d’une philanthropie de charité à
une philanthropiemettant l’accent sur la justice et le com-
portement responsable des nantis : les grandes bour-
geoises qui en sont les actrices principales se donnent
pourmissionde changer leur propre attitude de consom-
matrices afin de susciter l’amélioration des conditions
faites aux ouvriers.
L’appartenance de Brunhes au catholicisme progressiste
explique qu’au moment où Emmanuel de Margerie le
contacte de la part de Kahn, il occupe la chaire de géo-
graphie à l’université de Fribourg en Suisse, un des bas-
tions de ce courant de pensée.
La générosité de cet homme touché par un douloureux
veuvage (Henriette meurt de la tuberculose en 1914)
s’exprime aussi dans la vie quotidienne : il s’occupera
d’une famille de vignerons, ruinée par le phylloxéra…
et c’est ainsi que les vendanges à Saint-Gengoux-le-
National, bourg de Saône-et-Loire, prendront place dans
les Archives de la Planète !
34.
ALBANIE
35.
IRLANDE
36.
MONACO
37.
BRÉSIL
38.
BULGARIE
39.
CHYPRE
40.
MONTÉNÉGRO
41.
DJIBOUTI
42.
PORTUGAL
1.
FRANCE
2.
JAPON
3.
GRÈCE
4.
BELGIQUE
5.
TURQUIE
6.
INDOCHINE
(Cambodge et Viet-Nam)
7.
SUISSE
8.
ALLEMAGNE
9.
ALGERIE
10.
ITALIE
11.
AFGHANISTAN
97
73
58
51
47
33
32
19
10
37 049
2 448
1 925
1 908
1 634
1 508
1 475
1 307
1 242
1 228
1 191
12.
INDES
(Inde, Pakistan et Sri Lanka)
13.
PERSE (Iran)
14.
DAHOMEY ( Bénin)
15.
ÉGYPTE
16.
CANADA
17.
GRANDE-BRETAGNE
18.
MAROC
19.
CHINE
20.
IRAK
21.
SYRIE (et Cilicie)
22.
ESPAGNE
1 157
1 113
1 109
869
867
827
780
751
725
712
669
23.
LIBAN
24.
TUNISIE
25.
PALESTINE
(Israël et Cisjordanie)
26.
AUTRICHE-HONGRIE
27.
PAYS-BAS
28.
NORVÈGE
29.
ARABIE (et Jordanie)
30.
MACÉDOINE
31.
SERBIE
32.
SUÈDE
33.
MONGOLIE
499
422
413
339
242
236
190
166
158
153
141
Brunhes s’estégalement illustré comme brillant orateur,
dont les cours et conférences ont subjugué l’auditoire.
Sur ce point, ce Toulousain au tempérament extraverti,
à la facondeméridionale, au verbe facile en toutes circons-
tances est vraiment l’inverse d’Albert Kahn.
Un autre trait distingue Brunhes du banquier atypique
qui affiche un dédain sincère pour les positions presti-
gieuses et les honneurs. Comme la plupart de ses pairs,
lui les recherche en signe de reconnaissance de sa valeur.
Il sera élu à l’Institut de France, Académie des sciences
morales et politiques, en 1927. Lorsqu’il accepte la direc-
tion des Archives de la Planète en 1912, l’enjeu estmoins
le projet lui-même qu’une chaire de géographie humaine
au Collège de France que Kahn accepte enmême temps
de créer et de financer pour lui. Brunhes venait en effet
de subir, malgré une campagne assidue, un échec pour
accéder au Collège de France. L’entrée en matière de la
lettre que lui adresse son ami Emmanuel de Margerie
est d’ailleurs significative à cet égard :
« Tout espoir n’est
peut-être pas perdu pour le Collège de France ! »
Les cinq époques des Archives de la
Planète
L’épopée des Archives de la Planète connut plusieurs
périodes, les deux premières liées à leur histoire intrin-
sèque, les trois dernières aux aléas de la grandeHistoire.
Elle débute, durant deux ans et demi, par une phase de
genèse sous la houlette directe d’Albert Kahn. Puis, de
1912 à lami-1914, on assiste à une phase de structuration
où, en sortant de la sphère privée et en passant sous une
direction scientifique, le projet prend une tournure plus
professionnelle. La tenue de registres d’inventaire est
entreprise, même s’ils sont loin d’atteindre, sur le plan
documentaire, le degré de précision qu’aurait souhaité
Brunhes (les opérateurs ont rarement pu consigner des
observations détaillées). Un troisième photographe,
Georges Chevalier, fait son entrée en octobre 1913. Il est
également chargé des projections. Le 17 mars 1914, il
assure notamment une projection à Berlin devant le
Kaiser Guillaume II.
L’irruptionde laPremièreGuerremondiale, par ses réper-
cussions (limitation des déplacements mais aussi apport
d’unsujetmajeur) ouvreun troisième cycle. Les vues prises
par les opérateurs deBoulogne concernent surtout l’arrière
mais aussi, encoopérationavec la Sectionphotographique
et cinématographique de l’Armée, des scènes à proximité
du front. Le pacifisme et l’objectivité ne sont plus au goût
du jour :
« Cette fois, les collections sont mises au service de
la propagande »
, écrit d’ailleurs Chevalier à propos de
projections en Suisse (1916) et en Espagne (1917)
3
.
Durant la guerre, outre l’apport d’opérateurs de l’armée,
l’équipe s’étoffe : Paul Castelnau et Fernand Cuville
prolongent leur collaboration, jusqu’en 1919 pour le
Albert Kahn à Jean Brunhes :
« Je vous félicite pour votre
intéressante et fructueuse
randonnée dans l’Est.
Les études sur place me
paraissent être le seul
moyen de faire de la vraie
géographie. »
© Musée Albert-Kahn - Département des Hauts-de-Seine
© Musée Albert-Kahn - Département des Hauts-de-Seine
L'opérateur Paul
Castelnau dans un
hôpital d’Ismaïlia.
Égypte, juin 1918.
Charles Winckelsen (?).
Le photographe
norvégien Anders Beer
Wilse, entre Alvkarleby
et Gävle, Suède, août
1910. Auguste Léon.
Nombre de plaques autochromes existantes par pays (frontières de l’époque).