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Ci-dessus :
Stéphane Passet
photographiant
un campement
de yourtes aux
abords de la
Mongolie
Intérieure le 18
juillet 1912.
La « caravane »
de l’explorateur
est composée
de
2 charrettes
pour transporter
vivres et matériel
et tirées par
des mules.
Plus quatre
Chinois dont
un
Ci-contre :
Auguste Léon
dans l’ancienne
sellerie
transformée
vers 1910
en laboratoire
photo des
Archives de la
Planète (dont il est
le responsable).
C’est ici que sont
traités les clichés
récoltés autour
du monde.
D’abord, la
« partie au noir »
avec la faible
lumière verte
pour contrôler.
Puis la
« partie
au jour »
(bains
complémentaires :
lavages, second
révélateur, bains
de renforcement...)
sur l'évier
en zinc contre
les fenêtres.
L’ensemble des
opérations dure
un peu moins de
30 minutes,
mais pour
rendre la plaque
exploitable et
projetable, il va
encore falloir
mettre un vernis
de protection,
fairedesretouches
et un doublage
par un verre de
protection
maintenu par un
papier gommé
noir. La pièce a
été réaménagée
en « salle de
conservation
des plaques »
après les
inondations de
1924. Cet
ensemble
de petits
bâtiments
comprenait aussi
un laboratoire
pour les films
et le bureau
de Jean Brunhes,
le directeur
scientifique.
interprète
« très
paresseux » mais
« très honnête ».
Passet a obtenu
le droit de faire
des clichés mais
a dû d'abord
pour cela partager
un
koumis
(lait de jument
fermenté) avec
les nomades
à même le sol.
Il fait poser
les habitants
4 à 20 secondes
selon la lumière
devant leurs
yourtes, des
temps de pose
qui nécessitent
un appareil sur
pied
. Les femmes
ne voulaient pas
participer mais
elles ont dû
obéir au chef du
campement
« qui faisait tout
ce qui pouvait
me faire plaisir »
(selon Stéphane
Passet).
Passet suit
les consignes
de Jean Brunhes
et prend à la fois
des vues de
situation de
l'habitat en plan
large (sans êtres
humains)
et des vues plus
rapprochées
(avec êtres
humains mais
groupés).
Il tourne aussi
deux séquences
filmées avec
une caméra à
manivelle
, très
lourde : deux
plans de cavaliers
à qui il demande
d'évoluer devant
son objectif.
Là aussi, il suit
les consignes :
le cinéma doit
être utilisé pour
enregistrer
le mouvement
et la vie. Passet
devra développer
lui-même ses
enregistrements
durant samission
(les images
latentes ne
peuvent attendre
le retour à
Boulogne) grâce
aux
produits
chimiques
contenus dans
ses malles
.
De retour
de Mongolie,
Stéphane Passet
présente
les autochromes
de sa première
récolte mongole
de 1912 à
Albert Kahn
et Jean Brunhes
en présence de
l’autre opérateur,
Auguste Léon.
Ce dernier
manipule le
double projecteur
sur grand écran.
Les films étaient
aussi projetés
mais avec un
autre matériel.
Albert Kahn et
Jean Brunhes
ont de quoi être
satisfaits, on
parle sans doute
des sujets pris
et de ceux
qu'il faudra
prendre lors
des prochaines
missions.
Ce n’est que partie remise. Après un voyage enTurquie
puis au Maroc, Passet repart vers la Mongolie en 1913,
cette fois par l’autre côté. Depuis une gare du trans-
sibérien et la frontière russe (l’empire tsariste est le
protecteur intéressé de la nouvelleMongolie indépen-
dante), il réussit enfin à gagner en bateau puis à cheval
Ourga, résidence du « Bogd Gegeen », huitième réin-
carnation d’un sage tibétain, qui règne alors sur les
Mongols. Dans cette étrange ville qu’il ne comprend
pas mais qu’il photographie autant qu’il peut, Passet
est surtout choqué, sept ans après la séparation des
églises et de l'État en France, par le pouvoir et le nombre
des lamas. Il ne les épargnera pas dans les légendes
inscrites plus tard au bas de ses clichés :
« Le sans-gêne
avec lequel les lamas soulagent leurs entrailles »
,
« La
masse des lamas servants est complètement ignorante et
d’une malpropreté repoussante »
... Des lamas qui n’appré-
cient pas forcément que ce bizarre observateur vienne
les déranger, comme le montre une autre légende :
« Aussitôt aperçu, l’opérateur fut contraint de quitter son
observatoire sous la poussée des lamas… »
Vingt-cinq ans plus tard, le régime stalinien aura fait
disparaître les palais, monastères, yourtes et lamas,
Ourga, rasée, sera devenue Oulan Bator, une ville en
dur et à l’occidentale. Mais les « modes de l’activité
humaine » fixés par Passet resteront enregistrés très
loin de là, dans les placards bien gardés d’une grande
propriété de Boulogne.
Texte : Jean de Saint Blanquat
Illustrations : Jean François Binet
Jean-François Péneau.
Merci à l’équipe du musée et plus particulièrement à Ronan
Guinée, Serge Fouchard, Sigolène Tivolle, Marie Corneloup
et Valérie Perlès, directrice.
On peut se demander si c’est pour cela que Stéphane
Passet, arrivé à Pékin, tente aussitôt de partir pour Ourga
et la Mongolie, territoire à peu-près vierge de ce genre
d’empreintes. Albert Kahn semble avoir prévu les diffi-
cultés et a élargi les consignes données à l'opérateur
avant son départ :
« Il est bien convenu,
précise Jean
Brunhes,
que les indications que j’ai données à M. Passet
doivent lui servir à titre d’inspiration (...) mais il va sans dire
que ce n’est pas là une sorte de règle limitative. M. Passet
doit avoir l’œil toujours ouvert et prendre tout ce qui lui
paraîtra de quelque intérêt; plus il manifestera d’initiative
réfléchie, et plus nous serons satisfaits de ses services. »
« L’œil toujours ouvert », « initiative réfléchie », on re-
connaît la philosophie d’Albert Kahn qui, élève et ami
du philosophe Bergson, demandait déjà en 1898 aux
bénéficiaires de ses bourses de voyage autour dumonde
de garder les
« yeux grands ouverts »
, d'établir
« un con-
tact immédiat avec les choses et les hommes »
,
« d'entrer en
communication sympathique avec les idées, les sentiments,
la vie enfin des différents peuples »
.
Mais en 1912, la Chine est une république depuis un
an et l’anarchie s’étend dans l’ex-Empire du milieu que
cherchent à se partager toutes les puissances du mo-
ment. Passet ne parvient pas à gagner Ourga et renonce
à traverser ledésert deGobi, périlleux noman’s land entre
la Mongolie « intérieure » (contrôlée par la Chine) et
la Mongolie « extérieure » (qui vient de prendre son
indépendance). Il a tout de même le temps de photo-
graphier et filmer quelques Mongols d’au-delà de la
Grande Muraille et, pour cela, de montrer son sens du
sacrifice:
« J’ai dû m’asseoir à terre
, écrit-il àAlbert Kahn,
les jambes sous le corps et accepter le
koumis
, liqueur
abominablement amère et écœurante composée d’un lait
de jument fermenté. J’ai pu surmonter mon dégoût et grâce
à cela, j’ai pu prendre les clichés des tentes, hommes et
femmes. »
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boulogne
Saga
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