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Elle demandait qu’on cultivât partout l'irrégularité et le
mouvement pour retrouver la vérité des horizons, tels
que le temps les avait façonnés, avec les couleurs et les
lignes qui leur étaient propres. Elle entendait qu’on y
logeât des ruines, qu’on y empilât des rochers pour édifier
des grottes et des cascades, qu’on détournât à son profit
les ruisseaux qui des coteaux s’épanchaient vers la plaine.
Elle évoluait avec la grâce d’une sylphide, entre le
murmure des eaux qui alimentaient sa rivière anglaise,
le chant des oiseaux exotiques qui s’ébattaient dans ses
volières et le parfum des fleurs rares qu’on acclimatait
dans ses serres. Elle créa un labyrinthe des sens, une sorte
de musée global en plein air, offrant à la vue, à l’ouïe et
à l’odorat un spectacle permanent et charmant, dont la
diversité faisait écho aux beautés de la nature.
À regarder de près les travaux qu’elle entreprit dans son
parc, et les moyens considérables qu’elle mit en œuvre
pour parvenir à ses fins, dépensant sans compter et
toujours au-delà du raisonnable, on devine les visions
qui l'habitaient : les jardins plantés d'indigo, les chemins
bordés de haies vives de citronniers et d’orangers embau-
mant l’air, le caféier montant à l’assaut des montagnes,
lamer bornant l'infini, autant d’images gravées dans ses
souvenirs, de senteurs parfumant sa mémoire. Cette
poursuite d'une Arcadie perdue donna naissance à une
réalisation unique en Europe. Elle voulut qu’on s'y crût
comme aumilieu des forêts de l'Amérique. Elle sut com-
biner habilement l’utile et l’agréable, car si elle contribua
à l’enrichissement de la connaissance scientifique, elle
satisfit tout autant sa passion du luxe. Elle ne savait vivre
que dans le raffinement le plus extrême. Son parc tenait
du jardin expérimental, mais par les collections bota-
niques si précieuses qu'elle y accumula, il était aussi le
signe d'une perfection infiniment plus grande. Cette
nature apprivoisée et recomposée fut le miroir qui lui
renvoyait l'image qu'elle voulait donner d'elle. Elle y
accomplit le geste auguste du semeur, si cher à Victor
Hugo et déploya autour d’elle, colorée et brodée comme
un manteau de cour, une parure de verdure, piquée de
roses, de magnolias, de pivoines, de rhododendrons et
de bruyères en fleurs.
« L’agrément d’un jardin naturel est
d’y trouver à chaque pas des tableaux »
, expliquait Carmon-
telle ; à quoi l’abbé Delille, l’un des familiers de Sophie
Le Couteulx du Molay dans les années 1780, répondait :
« Soyez peintre. »
Artiste peintre, Joséphine le fut plei-
nement à Malmaison, où elle reconstruisit une utopie
rétrospective qui, à biendes égards, la renvoyait aux temps
de son enfance martiniquaise aux Trois Îlets.
L’intégralité de ce texte est à lire dans le catalogue de
l’exposition
Joséphine
édité par la RMN.
« Joséphine et Malmaison. L'une ne va pas sans
l'autre. Malmaison, qu'elle préférait à toute autre
demeure, fut la grande œuvre de sa vie. »
À SAVOIR
JOSÉPHINE EN HUIT DATES
23 juin 1763 : Naissance aux Trois Îlets
(Martinique) de Marie-Joseph-Rose
de Tascher de La Pagerie, future impératrice Joséphine.
1779 : Mariage avec Alexandre de Beauharnais.
Suivront, en 1781 et 1783,
les naissances d’Eugène et d’Hortense, puis la séparation en 1785.
1794 :
Marie-Joseph-Rose est écrouée à la prison des Carmes
pendant plus
de trois mois. Alexandre de Beauharnais, lui, est exécuté.
1796 : Mariage civil avec Napoléon Bonaparte.
1799 : Achat du château de Malmaison.
1
er
décembre 1804 : Célébration du mariage religieux.
Le lendemain, Joséphine
est couronnée impératrice par Napoléon dans la cathédrale Notre-Dame.
1809 : Divorce
par consentement mutuel.
29 mai 1814 : Mort de Joséphine
. Funérailles dans l’église Saint-Pierre-Saint-
Paul de Rueil, où son cercueil est installé dans un tombeau en 1825.