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© Philippe Sébert
l'horizon visible »
. La reprise par le mémorialiste de son
projet après la révolution de Juillet et la fin de sa carrière
politique a été fondée sur la définition d’une relation
nouvelle entre l’Histoire générale, celle de sa personne,
et lui-même comme metteur en scène de l'ensemble :
« Je représenterais dans ma personne, représentée dans mes
mémoires, les principes, les idées, les événements, les catas-
trophes, l’épopée de mon temps. »
(
Préface testamentaire
,
1834).
«Vers la rive inconnue »
Comme lieu de la représentation de la vie complète de
Chateaubriand, les
Mémoires
, chef-d’œuvre de notre litté-
rature, sont donc tout sauf coupés de l'histoire, de l'impli-
cation politique, et de cet
« extérieur »
dont précisément
l'examen conduit si souvent à contester la sincérité et la
pertinence historique de ces mêmes
Mémoires
. Constat
qu’on peut cependant prendre à l’envers, positivement
cette fois, en considérant qu’un écrivain qui fut ambas-
sadeur et ministre, fut conduit à considérer que le livre
pouvait être un lieu de l’histoire et de la politique. Mais
à quelle fin ?
Auteur d’
Études historiques
, Chateaubriand n’a pas pour
autantmanqué de prendre à l'occasion ses distances avec
la simple conservationd’unpassé qui se révélait une suite
de destructions, une série d'
« ombres évanouies et de noms
passés »
. Après Juillet, il a voulu ses
Mémoires
comme
un saut dans les eaux tumultueuses nées de la rencontre
d’unmonde qui finissait et d’unmonde qui commençait.
Il quittait à regret le rivage où il était né, et nageait, en
emportant comme Énée ses pénates,
« avec espérance vers
la rive inconnue où allaient aborder les générations nouvelles»
,
une rive que lui-même, nouveauMoïse, n’atteindrait pas.
Mais cette rive, elle n’était pas donnée, pas connue par
avance ; elle n’était pas fatale, déterminée ou calculable.
L’ambition de son œuvre, aux antipodes d'une quel-
conque
tabula rasa
, vouée à ressaisir le passé dans un
devenir ouvert, était de contribuer à faire apparaître cette
rive nouvelle, cette rive
possible
, et à y conduire, faute de
quoi l’avenir continuerait, quand bien même sous de
nouveaux habits, la répétition du même déplorable et
désespérantmouvement que le passé. Il ajouterait seule-
ment de nouvelles ombres, bientôt évanouies elles aussi,
et de nouveaux noms, bientôt passés eux aussi…
À voir :
exposition
Portraits de
l’époque romantique. Une
passion de collectionneur
,
Jusqu’au 14 décembre 2014.
À lire :
les deux derniers
Cahiers de
la Maison de Chateaubriand
,
n° 5 (décembre 2013) et n° 6
(juin 2014) présentent les
« opinions » de tous ceux
qui ont approché le grand
homme, amis comme
ennemis… Un florilège
exceptionnel et surprenant.
En vente 10 € à la Maison
de Chateaubriand, au Musée
Albert-Kahn et au Musée de
l’Île-de-France.
Maison de Chateaubriand.
Domaine départemental de
la Vallée-aux-Loups.
Châtenay-Malabry.
Tél. : 01 55 52 13 00
maison-de-chateaubriand.
hauts-de-seine.net
« Le recensement des libertés prises avec la véracité des événements
dans les
Mémoires d’outre-tombe
n’est sans doute pas encore achevé. »
La maison du Tasse à Sorrente
,
par François-Louis Dejuinne.
Huile sur toile, 1824, 56 x 47 cm.
« Si j’ai le bonheur de finir mes
jours [à Rome], je me suis
arrangé pour avoir à Saint-
Onuphre un réduit joignant la
chambre où le Tasse expira »
(Chateaubriand, 1829)
Coll. Maison de Chateaubriand
(achat 2013)
À SAVOIR
EN DATES
Octobre 1807 : Chateaubriand et sa femme
s’installent à la Vallée-aux-Loups.
1818 : les Chateaubriand contraints de
vendre.
1914 : achat de la propriété par le docteur
Henri Le Savoureux aux La Rochefoucauld-
Doudeauville.
1956 : mort de Paul Léautaud à la Vallée-
aux-Loups, où le docteur Le Savoureux et sa
femme accueillirent de nombreux écrivains,
artistes, savants et hommes politiques.
1987 : inauguration de la Maison de
Chateaubriand, acquise et restaurée par le
conseil général des Hauts-de-Seine pour être
ouverte au public.
1988 : remise du premier Prix Chateaubriand
sous la présidence de Jean d’Ormesson, de
l’Académie française ; premiers spectacles
littéraires et musicaux ; première exposition
en 1989 :
« Chateaubriand et la Révolution française. ».
2013 : 26
e
Prix Chateaubriand sous la
présidence de Marc Fumaroli, de l’Académie
française ; 20
e
exposition : Trésor du Saint-
Sépulcre, en partenariat avec le Château de
Versailles ; 254
e
spectacle : Avishai Cohen
© CG92/Willy Labre