Vallée de la culture n°9 - page 76

l
a première série de portraits de
Chateaubriand réunis dans la cinquième livraison des
Cahiers de la Maison de Chateaubriand
, parue il y a peu,
est une bonne occasion de revenir à la double question
un peu grandiloquente posée par lui en 1797, dans la
première phrase de son premier ouvrage publié :
« Qui
suis-je et que viens-je apporter de nouveau aux hommes ? »
.
La dualité, entre réalité et chimères, qui préside à
l’
« autoportrait »
en
« androgyne bizarre »
, qu’il a fiché bien
plus tard au cœur des
Mémoires d’outre-tombe
, lui a permis
de dénier toute ressemblance aux portraits qu’on a pu
faire de lui. Ces portraits seraient saisis sur une part
seulement de son existence, l’
« extérieure »
. Chateau-
briand leur oppose sa
« vie complète »
, qu'il n'a
« laissée
passer »
que dans les
Mémoires
.
Et cependant, le recensement des libertés prises plus ou
moins volontairement avec la véracité des événements
dans les
Mémoires d’outre-tombe
, dont le bilan est déjà
considérable après cent cinquante ans de recherches
d’histoire littéraire, n’est sans doute pas encore achevé.
Ces distorsions créent un embarrassant et paradoxal
contraste avec l’idée que les
Mémoires
puissent être le
seul lieu d’une vérité de soi de leur auteur. L’œuvre litté-
raire, le chef-d’œuvre de Chateaubriand, serait donc le
lieu revendiqué d’une vérité qui ne serait pas celle des
faits, de l’
« existence extérieure »
. Cela ne prêterait guère
à conséquence si d'une part Chateaubriandn’avait occupé
dans le champ historique et politique une place que
même ceux qui la jugeaient indue n’ont jamais présentée
comme négligeable ; et si d'autre part les
Mémoires
n'avaient revendiqué haut et fort cette carrière. Globa-
lement, Chateaubriand a considéré que sa carrière avait
été, au regard de son ambition profonde –la restauration
de l’Histoire (mais de quelleHistoire ?) à travers le succès
de la Restauration–, un échec. Pour reprendre ses propres
termes, force lui fut de constater qu’il y eut
« faillance des
destinées »
. Son attachement à cette partie de son exis-
tence, à sa
« carrière politique »
, est cependant demeuré
profond jusqu’à lafinde ses jours ; il ne l'a jamais répudiée,
alors même que son détachement dumonde historico-
politique allait croissant. La question devenait aux yeux
d'un homme qui n'entendait pas qu'on fasse fi de sa
politique – fût-ce au profit de son œuvre
« littéraire »
–,
celle de l'avenir, jugé par lui pour l'heure
« loin au-delà de
Détail des
Funérailles
d'Atala
, attribué à
Anne-Louis Girodet.
Huile sur toile, vers 1808,
49 x 60 cm.
Coll. Maison de Chateaubriand
(achat 2013)
Bianca et Aben Hamet dans
les jardins de l’Alhambra
,
anonyme. Plume et aquarelle,
28 x 20 cm.
Coll. Société Chateaubriand,
en dépôt à la Maison de
Chateaubriand
mémoire vive
Grands domaines
© CG92/Willy Labre
© cl. Maison de Chateaubriand
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