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l’esprit des jardins
Châtenay-Malabry
Son entreprise, familiale, « à l’an-
cienne », créée en 1974, emploie sept
personnes dont quatre jardiniers et per-
pétue avec courage la tradition horticole
duVal d’Aulnay.
Ainsi, en se promenant dans les envi-
rons du parc de la Vallée-aux-Loups, au
milieu d’un paysage qui a très peu
changé depuis le XiX
e
siècle, on s’étonne
de découvrir dans lemusée du bonsaï de
Rémy Samson, au 25 rue de Chateau-
briand, un paysage en miniature évo-
quant laChine, le Japon et le raffinement
millénaire de leurs jardins. Ce musée
abrite environ dix mille sujets dont le
plus âgé a 340 ans. Il s’agit de bonsaïs
d’extérieur, d’intérieur ou d’orangerie :
zelkova au port élancé, pinus torsadés,
acer palmatum rougissant à l’automne,
ficus dont l’airmajestueux contraste avec
la taille réduite, serrisa parés de fleurs
étoilées, eugenia aux troncs exfoliés,
mais aussi orangers, pistachiers ou
grenadiers évoquant le paysageméditer-
ranéen. Ce musée est l’un des hauts
lieux de l’art du bonsaï en Europe, et c’est
à partir d’ici que, depuis des années,
Rémy Samson poursuit son œuvre de
diffusion de cet art en France et en
Europe.
Des origines du côté de la Chine
ancienne
Bien que les étals des jardineries les
proposentà laventeetqu’ils fassentpartie
del’imagequenousnousfaisonsdujardin
japonais,nousneconnaissonspasbienles
bonsaïs, et malgré l’attrait qu’ils exercent,
ils ne jouissent pas toujours d’une image
positive auprès dugrandpublic.
Nous ne comprendrons l’art de créer ces
sculptures vivantes que si nous tentons
d’abord d’appréhender leur signification
spirituelle et leur place dans l’art des
jardins orientaux. Les origines du bonsaï
sont à rechercher dans la culture magi-
que et religieuse de la Chine ancienne.
Selon une légende, un vieux Chinois
aurait trouvé, sur le chemin qui le con-
duisait à unmonastère bouddhiste isolé
dans les montagnes, un petit arbre ra-
bougri poussant aumilieu des roches. Il
le récolta et le transporta au monastère
où il le planta dans un pot en porcelaine
avant de le présenter en offrande au
Bouddha. Bien entendu, ce don fut
apprécié et le pèlerin obtint tous les
bienfaits qu’il était venu demander.
Vraie ou pas, cette histoire illustre bien
l’origine sacrée du bonsaï. On pense
aujourd’hui que les petits arbres rabou-
gris, nanifiés par le manque de terre, le
vent ou le froid, étaient prélevés dans les
bois et cultivés en pot par les chamanes
et les magiciens taoïstes à côté des
herbes médicinales. Ces arbres tordus
qui au fil des ans avaient résisté à toutes
sortes de difficultés, portaient en eux les
vertus et la force de la nature, l’esprit de la
roche et celui du vent. C’est cela qui les
rendait précieux, dignes d’être prélevés
et placés dans des pots finement déco-
rés, et devenir ainsi symboles et pour-
voyeurs de longévité et de sagesse.
Peu à peu, néanmoins, les bonsaïs per-
dirent cette dimension magique pour
acquérir une fonction plus esthétique
sans que leur valeur spirituelle en soit
affaiblie. De fait, cet art de la culture des
bonsaïs resta longtemps l’apanage des
moines, et ce sont des missionnaires
bouddhistes qui, au Xi
e
siècle, l’introdui-
sirent au Japon où il acquit ses lettres de
noblesse.
LE JEU DE L’INFINI DANS LE FINI
Le bonsaï trouva tout naturellement sa
place dans l’art des jardins, d’abord en
Chine puis au Japon. Pour les Chinois, le
jardin, œuvre de l’esprit, est un paysage
enminiature. Dans un jeud’échelle entre
macrocosme etmicrocosme, l’universel
est inscrit dans le particulier, et puis-
que, comme le disent les bouddhistes,
« l’Univers entier se cache dans un seul
grain »
, le jardinier doit faire entrer le
vaste dans l’exigu, l’infini dans le fini.
Ainsi, une pierre représente-t-elle une
montagne sacrée et un érable, un orme
ou un figuier banian miniaturisés font
apparaître dans l’esprit du visiteur les
vastes étendues boisées du paysage à
l’extérieur du jardin. Étant entendu que
celui qui maîtrise la partie maîtrise le
tout, ce paysage réduit, concentré, qu’est
le jardin permet de capturer la quintes-
sence de la nature au sein de laquelle le
shintoïste japonais retrouve le divin.
De lamêmemanière, le bonsaï contient
l’esprit du sacré qui s’exprime à travers
les formes naturelles et lemet à la portée
de l’homme, dans son jardin voire dans
sa demeure. C’est en cela qu’il trans-
cende le temps et qu’il donne accès à une
dimension intemporelle, cachée au cœur
même de la réalité.
Tel est le don que l’art du bonsaï, expres-
sion d’une culture très éloignée de la
nôtre mais capable de nous parler au-
Cet arbre est le plus beau de
la terre promise,
c’est votre phare à tous,
Penseurs laborieux !
Alfred de Vigny
p
©CG92/WillyLabre
©CG92/WillyLabre
On pense aujourd’hui
que les petits arbres
rabougris étaient
prélevés dans les bois
et cultivés en pot par
les chamanes et les
magiciens taoïstes à
côté des herbes
médicinales.