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Hauts-de-Seine
Quelle différence faites-vous entre l’art et
la culture ?
Vaste question ! Il me semble que la
culture s’inscrit plutôt dans un temps et
un espace définis. Alors que l’art tend à
traverser l’espace et le temps pour être
universel et éternel, et nous toucher
quelle que soit notre culture.
Comme l’avait très bien anticipéHannah
Arendt, la culture est menacée à notre
époque parce que notre société est
essentiellement une société de consom-
mateurs où le temps du loisir ne sert
plus à se perfectionnermais à se divertir
de plus en plus, à consommer de plus
en plus. Alors dans ce monde contem-
porain, qui rend difficile les vraies ren-
contres et notre désir d’être reliés les uns
aux autres, la culture et l’art ont toute leur
place car ils répondent à notre besoin
d’être reliés, à notre besoin de vérité et
de beauté. Jeme souviens de cette enfant
qui sortit tout étourdie d’émotion après
avoir écouté pour la première fois le
Requiem
deMozart.
À travers la grande diversité de la pro-
grammation du Théâtre de Suresnes
Jean-Vilar, nous essayons de répondre à
l’appétit de divertissement du public
mais aussi à ce désir plus profond de
toucher l’essentiel et d’interroger le
mystère ou l’absurdité de la vie.
Nous rassemblons un public à la fois
important et divers en termes d’origine
et de génération. Il ne s’agit pas de cher-
cher uniquement à plaire. Regardez ce
qui ce passe à la télévision lorsque l’on
cherche à plaire à tout lemonde !
Quelles sont les tendances que vous
constatez dans votre activité ?
Il y a plusieurs tendances mais j’en vois
deux qui rendent vraiment de plus en
plus difficile notre travail : c’est à la fois
la folie bureaucratique qui ne cesse de se
développer mais aussi le nombre très
important de propositions artistiques
que nous recevons quotidiennement.
Nous sommes noyés d’informations et
englués dans des contraintes adminis-
tratives de plus en plus fortes. De ce fait,
nous avons demoins enmoins de temps
pour respirer, nous poser des questions,
méditer, réfléchir…Alors que dans cette
période particulièrement difficile, les
artistes ont un rôle essentiel à jouer,
justement pour nous poser des ques-
tions, nous faire prendre conscience de
la réalité, de la force et de la complexité
dumonde. Ils nous aident à comprendre,
à mieux nous comprendre, à pardonner
et donc àmieux vivre ensemble.
À travers le théâtre, la danse, lamusique,
le cirque qui sont programmés dans ce
théâtre, il y a une humanité qui trans-
paraît. Il y a aussi, j’espère, la conscience
d’une « âme humaine », l’idée que nous
sommes tous très différents mais aussi
très ressemblants quels que soient notre
âge, notre origine, notre culture. Le
théâtre nous aide, il me semble, à cette
prise de conscience.
Qu’est-ce qui guide l’excellence ?
Autrefois la foi et la tradition inspiraient
les artistes. Maintenant que ces deux
sources ont quasiment disparu, com-
ment trouver encore les raisons de vivre
et d’espérer dans ce monde désolé ? À
travers les incroyables progrès scienti-
fiquesmais aussi sûrement en encoura-
geant la création artistique. Cela suppose
des connaissances, des repères pour
accompagner ceux qui méritent
vraiment de l’être. Il est aussi indispen-
sable de continuer à faire vivre des chefs-
d’œuvre qui traversent le temps.
L’artetlabeautépeuventsauver lemonde
car même si on peut vivre sans, nous
vivons tellement mieux au contact du
théâtre, de lamusique et de la danse…
Il me semble que les jeunes générations
pour des raisons qui ne sont pas uni-
quement écologiques, ne veulent plus
accumuler pour accumuler. Il y a, avec le
mal-être qui se développe, un désir de
vivre autrement, de vivremieux.
Propos recueillis par
Carine Dartiguepeyrou
« UN BESOIN DE BEAUTÉ ET DE VÉRITÉ »
Olivier Meyer est directeur du Théâtre de Suresnes Jean-Vilar ainsi que du
Théâtre de l’Ouest Parisien (TOP) de Boulogne-Billancourt. Il est notamment
le fondateur du fameux festival
Suresnes Cités danse
qui a su concilier hip
hop et danse contemporaine lors de ses vingt-trois éditions.
OLIVIERMEYER
©CG92/OlivierRavoire