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©CD92 /OlivierRavoire
plus large, n’aplus un«dehors », unexté-
rieur, dans le lequel reverser éventuelle-
ment ses problèmes.
Vousparlez souventdubesoind’avoirdes
projets radicaux. Qu’entendez-vous par
là ?
Être « radical », ce n’est pas forcément
aller dans le sens de projets avant-
gardistes. Ulrich Beck parlait, il y a déjà
quelques décennies, de la Société du
Risque et démontrait une radicalisation
des problèmes comme conséquence du
processus de modernisation. Si on est
convaincu que cette radicalisation existe,
alors on ne peut pas imaginer un projet
qui ne soit pas radical. Il faut d’abord
s’adapter, adapter nos outils, nos concepts
à une situation de radicalisation. La radi-
calité sollicite également notre imagina-
tion.Nous sommesbienconscientsqu’on
ne passera pas immédiatement à une
autre société, mais on peut au moins
prendre un peu en compte les dimen-
sionsduchangement. Est-ceque« lezéro
voiture»serapossible ?Qu’est-ceque cela
voudrait dire ? Comment peut-on fait
évoluer les espaces ?
La Suisse a voté une réduction des
consommations de près d’un tiers d’ici
2050.Nous, pour lemoment, nousdisons
que laplanète a leproblèmede signer des
accords, par exemple ceux de la COP21.
Des projets radicaux, ce serait donc par
exemple l’idée de recycler à 100%. Pour-
quoi ne pouvons-nous pas le tester ?Cela
changeraitdéjànotreposture etcelanous
permettrait d’élaborer des projets un peu
différents. Mais la vérité est que c’est très
difficile.Même le 100%recyclage immé-
diat trouve contre lui les lois du marché.
Or plus que jamais, nous avons besoin
d’imagination et de courage parce que la
situation est radicale.
Jepenseque laquestionurbaine est reve-
nueaucentredespréoccupations. Celan’a
pas toujours été le cas. Je suis urbaniste-
architecte, un peu paysagiste aussi, et
donc pourmoi l’urbanisme est l’occasion
de relier des choses que l’on perçoit
comme séparées. Nous sommes à un
moment de l’Histoire où nous avons le
devoir de repenser à fond leprojeturbain.
Je revendique cette forme de liberté.
Même si elle n’est pas très présente
dans les faits, je la revendique au moins
comme chercheuse.
n
Propos recueillis par
CarineDartiguepeyrou
et ÉmilieVast
Comment la question de l’énergie, la
diminutionde la consommationpeuvent
être l’occasion de repenser ces structures
bâties qui connaissent quand même
beaucoup d’inertie. Elles ne vont pas
changer complètement dans les pro-
chaines années, mais comment peut-on
les adapter enprenantencompte la trans-
formation de la famille, le besoin de
nombreux logements ?
Le conceptde«villeporeuse», c’estaussi
un moyen de dépasser le clivage qui
existe souvent entre«ville compacte»et
« ville diffuse »…
Eneffet, il fautsortirdudébatidéologique.
De quel côté es-tu ? Tu es fan de la ville
compacte ?Alors tues bien. Si tues fande
la villediffuse, alors tues absolumenthors
de toute hypothèse de durabilité, etc. Il
faut dépasser ce conflit car la ville est tout
cela à la fois. Personne ne pourra retrou-
ver la ville compacte parce qu’elle est
noyée dans un ensemble beaucoup plus
large. En Europe, il y a eu cette tradition
depetits centresmais les sièclesontpassé.
L’Unioneuropéennenedevraitpas consi-
dérer que le paradigme de la ville com-
pacte estla solutionà toutes les questions.
Je ne suis pas fan non plus de la ville
diffuse. Je pense que la ville, c’est juste-
mentdes formes d’urbanitédifférentes et
que chaque forme d’urbanité a besoinde
stratégies différentes.
Il est plus intéressant de regarder à une
échelle un peu plus large, celle de la ville-
territoire. Il aétéutilisé,mêmepour parler
de Paris, le terme de « métropole hori-
zontale », alors qu’une métropole n’a
jamais été horizontale. Mais justement,
dans ce manque d’horizontalité, on
trouve aujourd’hui des limites très fortes.
Qu’on pense à la production centralisée
d’énergieouà laproductiondécentralisée
de nourriture, on a à faire à un territoire
qui est différent de la ville compacte au
sens strictetde lavillediffuseunpeu idéa-
lisée. Même la ville diffuse change, a
changé. Donc cette condition urbaine,
« L’idée de
ville poreuse
est
une tentative de sortir l’urbanisme
des schémas habituels. »
Paola Vigano,
chercheuse
et enseignante italienne,
est la cofondatrice et la
dirigeante d’une agence
d’urbanisme à Milan.
Elle est l’auteur de
La
Métamorphose de
l’ordinaire
et de
La Ville
poreuse
. Reconnue pour sa
manière d’appréhender le
futur et de chercher à
valoriser le territoire à
travers sa richesse
culturelle au sens large, elle
a reçu le Grand Prix
de l’Urbanisme en RPQS
et participe à la réflexion
sur la Métropole
du Grand Paris.