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Eak

Hauts-de-Seine

CULTURES

temporalités

&

Par CarineDartiguepeyrou

Secrétaire générale des EntretiensAlbert-Kahn

Les Entretiens Albert-Kahn du 30 janvier 2015 ont été consacrés au

« rapport au temps et à la décision ». Deux des intervenants, Michelle

Dobré et Bernadette Puijalon, nous livrent leurs analyses.

mIChELLE DObRé 

Où en est-on des travaux de sociologie

du temps ?

Le temps est un objet de recherche qui

intéresse énormémentetfaitl’objetd’une

forte activité éditoriale,mais reste encore

un défi aujourd’hui. Il existe bien depuis

quelques décennies des descriptions de

l’emploi du temps des Français à partir

des enquêtes décennales de l’Insee.Mais

les tentatives de théoriser le temps social,

de saisir ladimension temporellede la vie

sociale, de comprendre ce que le temps

socialement construit signifie pour nous,

comme celle de Norbert Elias, sont plus

rares.

Récemment, l’approche d’un théoricien

allemand, Hartmut Rosa, a rencontré

beaucoupde succès. Probablement parce

que son évocation de l’accélération entre

en écho avec notre expérience quoti-

dienne d’un temps qui s’accélère d’une

manière que nous ne pouvons pas

contrôler, etaussi, avec le sentimentd’une

pénuriede tempsdevantlamultiplication

des options d’action qui se présentent à

nous. Car c’est ainsi que Rosa définit

l’accélération,

« une augmentation du

nombre d’épisodes d’action ou de vécu par

unité de temps »

. Trois évolutions sont

caractéristiques du bouleversement de

notre rapportau temps : la transformation

du rapport à l’espace, aux autres et aux

choses. L’accélérationa troisoriginesdans

ces trois domaines : l’accélération des

transports qui a transformé le rapport à

l’espace ; l’accélération des communica-

tions qui a transformé le rapport aux

autres ; l’accélération de la production

qui transforme le rapport aux choses

(obsolescence programmée, mais aussi

«mode » et «modernité », lemoteur de

la nouveauté étant un puissant stimulant

pour l’économie et le développement).

L’accélération est-elle un risque pour la

démocratie ? Peut-on parler d’une poli-

tique du temps ?

Les thèsesdeRosa sur l’accélérationrelan-

cent ladiscussion sur les «diagnostics de

l’époque », lamodernité contemporaine.

Rosa affirme que ce qui gouverne le

monde, dans notremodernité, n’est ni le

pouvoir, ni l’argent, mais l’accélération.

Faire de l’accélération le principal facteur

de lamodernisations’oppose àdes thèses

qui désignentd’autres facteurshistoriques

du changement, comme les révolutions

industrielles, la technique, ou le marché.

Notre démocratie, rappelle Rosa, repose

sur la conviction que la société est un

projet qu’il s’agit « d’organiser politique-

ment dans le temps ». Comme d’autres

auteurs (Zakki Laïdi, en France), Rosa

relève la contradiction entre l’urgence et

la délibération démocratique. Si c’est

l’accélération qui nous gouverne… alors

la discussion politique devrait, dans les

années à venir, se situer sur le terrain du

temps – c’est la conclusion à laquelle

parvient Rosa au terme de son analyse.

Quelles sont les stratégies de résistance

à l’accélération ? Mouvement

Slow

et

autres.

Je me suis intéressée aux tactiques indi-

« Notre rapport au temps est cohérent avec notre style de pensée »