12
13
j
ean Pierre Raynaud est né
au printemps 1939, à Courbevoie, juste
avant la déclarationde guerre. Ses parents
emménagent à Colombes où son père
travaille à l’usine La Licorne. Lors dubom-
bardement de celle-ci, il estenseveli sous
les décombres. Son fils a quatre ans. Le
lieu restera à jamais un lien fort de mé-
moire. Diplômé d’horticulture, JeanPierre
Raynaud connaît la période de la guerre
d’Algérie. Au sortir, le jeune homme reste
prostré durant plusieurs mois jusqu’à ce
qu’une pulsion de vie l’engage à poser un
a e fondateur par rapport à sa propre his-
toire : dans le garage de la maison, Ray-
naud s’empare d’un pot de fleurs, détruit
sa fon ion en le remplissant de béton et en le peignant
en rouge. Il évacue à la fois l’«hortus » et sonpassé ! Nous
sommes en 1962, Raynaud a 23 ans. Au cœur de sa dé-
marche autobiographique, réa ive, autodida e, il y a
« l’enchantement », une donnée fondamentale pour Jean
Pierre Raynaud, la base de sa rencontre avec «
l’art, ce
grand champ d’investigation et de liberté…
». Un posi-
tionnement clairement situé hors des filiations de l’his-
toire de l’art !
Le pot, « énigme banale »
Le pot de fleurs, objet du quotidien, forme universelle en
relation avec la nature, devient en 1962 objet de transfert
pour Raynaud qui archite ure sa pensée. La destinée du
« Pot » sera celle d’une « balise » contemporaine, no-
made, perçue comme le symbole de la fra ure nature-
culture, ou comme une arche d’alliance. Obstrué, le
réceptacle en forme de pot de fleurs gardera tout son
mystère, «
les pots ont un contenu, qu’il soit réel ou pure-
ment abstrait, et je ne souhaite pas en livrer l’anatomie
complète
», l’interdit est d’emblée posé par l’artiste. Pa-
rallèlement, à Tokyo, Pékin, Berlin, Paris… et au fond
de la mer Rouge, le Pot sera un objet relationnel.
Qu’il soit unique, nu, gigantesque, multiplié, violent ou
splendide selon l’environnement, sacralisé par l’or ou
fluorescent, le Pot échappe à l’immobilisme du musée !
Il voyage, construit une « légende », intrigue, excite, crée
l’animation, rencontre la vie… Devenu « signal » uni-
versel, chacun l’interprète, se l’approprie ! Cette aventure
planétaire, commencée en 1968 par le bétonnage de 300
pots rouges exposés à la Kunsthalle de Dusseldorf, se
poursuit sans discontinuité. En 1971, l’aventure horizon-
tale des 4000 pots rouges, en ligne, à Londres, Jérusalem,
Hanovre, ouvre la voie à un type d’expériencehors échelle.
En 1980, les premiers pots recouverts de feuille d’or ap-
paraissent et en 1996, lemonumental
Pot Doré
de la Fon-
dation Cartier prend ses quartiers de liberté à l’étranger.
En 1998, il atterrit à Paris devant le CentreGeorges-Pom-
pidou, sur unestèlemonumentale enmarbre blanc dont
il « s’envolera » en 2009, pour se poser sur le toit du
musée. Le geste radical du bétonnage du pot a annoncé
la démarche psychique du cheminement artistique de
Raynaud.
Les Psycho-Objets
Dans les années 60, Jean Pierre Raynaud a éprouvé une
véritable fascination pour les objets de rebut. Et il in-
vestit la décharge deGennevilliers. Inattendu, ce lieu agit
comme un révélateur que l’artiste évoque, «
un grand
champ poétique où tout est en lien, souffrance, ivresse, bon-
heur absolu, car chaque chose a du sens
». Les Psycho-ob-
jets naissent alors de cesmatériaux disparates et forment
avec les panneaux « Sens interdit » l’alphabet d’un lan-
gage personnel, une œuvre « Sens+Sens ». Containers,
bidons, boîtes en fer blanc.., signes d’une neutralité ab-
solue, entrent dans la fabrication de montages mêlés à
des photos, érigés ensuite en symboles personnels. Ces
objets quasi funéraires, issus des sépultures que sont nos
déchetteries, sont les points de jon ion entre transitoire
et inaltérable, vie et mort. Cette démarche singulière
touche le célèbre critique d’art Pierre Restany, héraut dans
les années 60 des « Nouveaux Réalistes ». Il devient le
passeur de la carrière artistique de Raynaud, l’engagera
à participer à l’une des expositions «Mythologies quoti-
diennes ». Mais Raynaud s’intéresse davantage à l’état
psychique de l’être humain qu’au débat esthétique voire
politique de ses contemporains, le Pop Art américain et
ses images de la société de consommation ou les Nou-
veaux Réalistes à Paris. «
Chez moi il n’y a pas de style, il
n’y a qu’une méthode. La méthode Raynaud, c’est prendre le
risque de se trouver avec moins que moins
».
Pot, NVVQ. Tachikawa
City, Tokyo
Aluminium, peinture.
H. : RMM cm, diam. : RQU cm.
© Archives Denyse Durand-Ruel - Adagp, 2011
© Philippe Chancel - Adagp, 2011
Pot fluorescent
en mer Rouge
, NVVT.
Polyester stratifié,
peinture polyuréthane
H. : RM cm, diam. : RR cm
« L’enchantement est la base
de ma rencontre avec l’art »
Jean Pierre Raynaud
Hauts-de-SeiNe
archite ure-sculpture