8
île seguin
Entretien
Vous avez toujours porté une attention soutenue à l’île
Seguin, jusqu’à intervenir directement dans le débat à
travers votre tribune «Boulogne assassine Billancourt »
dans
Le Monde
du 6 mars 1999. Dès le départ, quelle a
été votre approche et votre conviction pour l’île Seguin ?
À cette époque, il devenait évident que Renault avait
décidé de se séparer de l’île, même si cette décisionn’était
pas encore officielle, et sans qu’on sache d’ailleurs s’ils
voulaient la reconstruire ou se contenter de réaliser une
opération financière en la vendant…Mais la première
optionsemblait avoir leur préférence, d’autant queRenault
affichait l’envie de préserver le patrimoine existant. Mais
peu à peu ont surgi des projets qui proposaient de raser
les installations industrielles et de rendre l’île à son
univers bucolique des siècles passés. Puis il y a eu
d’autres projets urbains, dont celui de Renzo Piano qui
proposait de bâtir une nouvelle usine… On était à
l’époque dans un flou artistique…Puis j’ai pris connais-
sance du projet de Bruno Fortier : je tiens à préciser
que je n’ai rien contre l’homme que je respecte
; je
n’approuvais pas l’idée de lotissement sur l’île Seguin,
d’autant que la ville de Boulogne-Billancourt, l’État et
Renault, qui le soutenaient, avançaient des arguments
que je trouvais intenables. Selon eux, l’architecture de
l’île était irrécupérable et tout ce qui restait ne repré-
sentait plus aucun intérêt. Or, pourmoi, la reconstruction
de la friche industrielle était essentielle pour l’avenir
de la ville, il était scandaleux de vouloir la démolir. J’ai
donc pris position pour rappeler que cette île, château
industriel incroyable, faisait partie de l’Histoire des
Français, de leurs aventures sociales, et que c’était le krak
des ouvriers. J’étais révolté par l’idée que l’histoire
sociale, industrielle et urbaine du pays n’intéressait plus
personne ! Il fallait au contraire que le nouveau projet
s’appuie sur cette histoire immense, sans chercher pour
autant à embaumer l’île Seguin.
Vous avez été entendu ?
On a bien résisté mais ils ont démoli quand même en
plein été ! C’estdans ces conditions que nous avons créé
l’AMIS (Associationpour lamutationde l’île Seguin), puis,
avec différents partenaires de cette association et des
étudiants en architecture, nous avons commencé à exa-
miner les hypothèses de travail, concernant la densifi-
cation de l’île et lamise en valeur des grandes structures.
Mais ils n’ont pas du tout considéré cette possibilité de
densifier dans demeilleures conditions toute cettestruc-
ture urbaine avec ses connections et superpositions.Mal-
gré nos interventions, l’idée de la démolition a fait son
chemin, puis elle est apparue comme irréversible poli-
tiquement.
Quelle a été ensuite votre position lors de l’arrivée de
la fondation Pinault ? Étiez-vous favorable à ce projet ?
Onm’a souvent demandé si j’étais contre ce projet. Bien
sûr que non ! Je trouvais formidable d’implanter lemusée
du
xx
e
siècle, c’était la promesse de rendre l’île vivante.
J’ai toujours dit que Seguin devait être une ville dans la
ville. François Pinault m’a donc demandé si je voulais
faire partie du jury. Je me suis expliqué avec mes amis
de l’AMIS, qui n’étaient pas tous d’accord. C’était une
décision délicate pour moi, mais j’ai pensé que je serais
plus utile à l’intérieur qu’à l’extérieur, même si j’ai tou-
jours été contre l’idée de raser le bâti existant si on n’y
est pas obligé…En tous cas, j’ai obtenu que les architectes
consultés donnent leur stratégie sur l’île tout entière, afin
que la fondation Pinault ne soit pas un élément isolé,
mais s’intègre dans un plan d’ensemble.
J’ai défendu essentiellement le projet du collectif
MVRDV. Je trouvais la proposition plus urbaine, avec
une sorte de capitainerie et de bateau pétrifié sur la
pointe aval qui était comme amarré par les deux ponts…
c’était un très beau projet. François Pinault a hésité, mais
à cette époque il nourrissait une passion pour Tadao
Ando qu’il a finalement choisi.
Tout ce processus a pris beaucoup trop de temps.
« Une nouvelle île de la Cité,
connectée au territoire dans
une insularité poétique. »
© CG92/Jean-Luc Dolmaire
Jean Nouvel
À droite :
maquette
du projet
de Jean Nouvel
pour l'île Seguin,
juillet 2010.
Vue de Billancourt.