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n octobre 1795, Joséphine,
veuve du vicomteAlexandre
de Beauharnais, mort sur
l'échafaud, emprunte le long
passage du 6 rue Chantereine pour s'ins-
taller dans une simple mais élégante
maison entourée de verdure. Au quar-
tier aristocratique du faubourg Saint-
Germain, elle préfère désormais celui,
à la mode et plein d'avenir, des milieux
d'argent de la Chaussée d'Antin. Depuis
la deuxième moitié du XVIII
e
siècle, le
quartier, situé au-delà de l'enceinte des
fermiers généraux, saisi par la fièvre
spéculative a vu ses terrains maraîchers,
potagers et censives ecclésiastiques
disparaître au profit de somptueuses
maisons de plaisance, folies et bagatelles
entourées d'élégants jardins pittores-
ques. Les commanditaires sont gens de
finance, membres de la haute aristo-
cratie et femmes de théâtre entretenues.
La ruelle des Postes ou Chantereine est
devenue après son assainissement une
rue prisée ; elle compte le célèbre hôtel
de M
elle
Dervieux, danseuse de l'Opéra,
édifié en 1774 par Brongniart.
« Une petite maison » au milieu
des jardins
Lamaison que Joséphine loue, a été édi-
fiée par l'architecte Perrard deMontreuil
qui a participé, comme d'autres promo-
teurs, au mouvement en construisant
plusieurs maisons dans la rue. L'élégant
pavillon, achevé vers 1779, n'appartient
pas à la typologie traditionnelle des
hôtels construits entre cour et jardin ; il
s'élève, isolé, telle une folie, au cœur d'un
îlot de verdure. Par son apparente sim-
plicité, il appartient à cette catégorie de
villas néo-classiques dans lesquelles les
idées nouvelles recommandent des
distributions simples, à l'italienne.
La demeure a d'abord été louée par l'ar-
chitecte à Julie Careau, danseuse de
l'Opéra, protégée par le vicomte Joseph-
Alexandre de Ségur, fils du ministre de
la Guerre. Esprit vif et séduisant, ce
dernier compose comédies, poèmes et
proverbes ; nombre des représentants les
plus brillants de la haute aristocratie,
mondains et lettrés, aiment à se retrou-
ver chez « M
elle
Julie », dont le cadre
raffiné est meublé avec goût : Le salon
estjugé«d'unexcellentton». Cependant
après quelque temps, la jeune femme,
propriétaire depuis 1782, a préféré à son
séduisant amant un talentueux, mais
ambitieux acteur, François-Joseph
Talma. Avec ce dernier, le ton a changé
et l’hôtel est devenu le centre de la
« Gironde », carrefour bouillonnant
d’idées où se sont pressés lettrés et
hommes épris d'idéaux. L'amiMirabeau
a loué une des maisons de la maîtresse
des lieux.Vergniaud, Condorcet, Roland,
Roger-Ducos ont emprunté avec d'autres
le chemin de la longue allée. Lemariage
civil de Julie et deTalma célébré en 1790
est de courte durée : les prodigalités de
l'acteur et sa flamme pour une jeune
actrice, CarolineVanhove, ont conduit le
couple à la séparation et… lamaison à la
location.
Indubitablement, Joséphine fait preuve
d'habileté en choisissant cette demeure
connue de la place parisienne, lieu de
rencontre de la littérature, du théâtre et
de la politique. L'hôtel est une construc-
tion soignée de pierres de taille assisées
e
Le général Bonaparte chez
M
me
de Beauharnais, fin du XIX
e
-
début du XX
e
siècle.
Photographie de Eugène-Antoine
Guillon et François-Antoine
Vizzavona. Tirage moderne
à partir d’une plaque de verre
H. 30 cm; l. 40 cm
Paris, Réunion des musées nationaux,
collection fonds Druet-Vizzavona
L’hôtel Bonaparte rue
de la Victoire, juin 1856.
Aquarelle de Gustave,
comte de Reiset (1821 -
1905) avec rehauts de
gouache et de crayon
H. 35,5 cm; l. 27,2 cm.
Paris, Fondation Napoléon
©RMN-GrandPalais /FrançoisVizzavona
« Joséphine s'est identifiée avec son temps
et incarne encore aujourd'hui un destin
hors du commun dans une société en
pleinemutation. »