revueculturellen4 - page 32-33

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Hauts-de-SeiNe
Littérature
« Le 30 juin 1961, Céline achève
péniblement
Rigodon
, son dernier roman.
Le lendemain, 1
er
juillet, il meurt. »
Neuilly-sur-Seine,
le retour en France
De 1940 à 1944, Céline jouera un rôle ambigu, tant au-
près des Allemands que des autorités de Vichy. Si, pen-
dant cette période, Céline apparaît comme le « grand
prophète » d’une partie de l’extrême droite française, ce
dernier refuse tout embrigadement. Sympathisant des
causes les plus abominables, Céline se garde toutefois d’y
participer activement. Mais en juin 1944, le vent tourne
et Céline s’enfuit auDanemark. Après un séjour à Baden-
Baden, puis à Sigmaringen, Céline, Lucette et le chat
Bébert arrivent à Copenhague quelques jours avant la
chute finale du
III
e
Reich. Mais à Copenhague, Céline est
rattrapé par son passé. Interné au Danemark à la de-
mande des autorités françaises, puis assigné à résidence
sur les bords de la Baltique, Céline se bat pour obtenir
une amnistie. C’est chose faite au printemps 1951, et
Céline peut enfin rentrer en France après six ans d’ab-
sence. Après quelques semaines passées à Menton, au-
près de sa belle-famille, Céline, sa femme Lucette
Almanzor et toute laménagerie rapportée duDanemark
(deux chats, Bébert, et leur chienne Bessy), prennent
l’avion en direction de Paris. À l’aérogare des Invalides,
Céline et sa femme sont accueillis par Paul Marteau, un
admirateur, riche industriel qui s’estproposé de les hé-
berger dans sonmagnifique hôtel particulier deNeuilly-
sur-Seine. Pour quelque temps, le couple est débarrassé
des contraintes matérielles. La table de Paul et Pasca-
lineMarteau estexcellente, une voiture et son chauffeur
sont mis à leur disposition. Céline peut recevoir et re-
trouver lesmembres de sa famille, renoue avec ses amis
d’autrefois, et fait la connaissance de Gaston Gallimard,
son nouvel éditeur.
Toutefois, ce luxe ostentatoire n’estpas du goût de l’écri-
vain, qui déteste être redevable envers quelqu’un.Auquo-
tidien, la cohabitation avec Céline n’estpas de tout repos.
Son caractère, aigri par l’exil, n’arrange pas les choses.
Céline veut que sa femme puisse continuer à faire ses
exercices de danse, et qu’importe si le bruit dérange ses
hôtes et fait vaciller le lustre en cristal à l’étage du des-
sous… Idempour les chats, qui font leurs griffes sur des
fauteuils Louis-XV…
Pendant le mois d’août, les Destouches profitent des
vacances pour sillonner la banlieue ouest de la capitale,
et visiter différentes habitations qui disposent d’un vaste
jardin, susceptibles d’accueillir le couple et tous ses ani-
maux. Finalement, le choix du couple se porte sur un pa-
villonabandonné, sis au25 ter routedesGardes, àMeudon.
meudon, la fin du voyage
Octobre 1951, après quelques travaux de remise en état,
lesDestouches s’installent définitivement àMeudon, que
Céline rebaptisera Célingrad dans
Féerie pour une autre
fois
. La nouvelle maison du couple est située sur les co-
teaux, àmi-chemin entre leMeudonprolétaire qui jouxte
les usines Renault de Billancourt, et le Meudon huppé
autour de l’observatoire. Toujours cet entre-deux…
Les dix dernières années de la vie de l’écrivain sonnent
comme une sorte de retour aux sources. Céline retrouve
cette banlieue ouest qu’il affectionne particulièrement ;
du dernier étage de sa villa, il surplombe Paris, et peut
contempler Courbevoie et les boucles de la Seine qui l’ont
vunaître.Mais l’installationdeCéline àMeudon estaussi
un renoncement à toute forme de vie sociale. Pendant
dix ans, Céline ne quittera plus ses oripeaux de clochard
à l’hygiène douteuse, vociférant contre ses confrères écri-
vains, la société, les hommes, la décadence de l’Occident,
le « péril jaune », sa nouvelle marotte… Pourtant, l’ins-
tallationdeCéline àMeudonne s’estpas faite sans heurts.
Les habitants de cette ville huppée voient d’un trèsmau-
vais œil l’installation de l’auteur de
Voyage au bout de la
nuit
, comme l’écrira Céline lui-même dans
D’un châ-
teau l’autre
: «
Ce qui me fait le plus de tort ? …mon com-
plet peut-être ?mes grolles ?…toujours en chaussons ?…mes
cheveux ? […] ah, et aussi le pire du pire : “il écrit des livres”…
ils les lisent pas, mais ils savent […] je vais moi-même aux
“commissions”… voilà qui vous discrédite !…
»
Indifférent à ce tumulte, Céline ouvre un cabinet demé-
decine générale au rez-de-chaussée, tandis que sa femme
donne des cours de « danses classiques et de caractère »
à l’étage. Mais ils ne sont pas nombreux les malades qui
osent franchir les grilles du 25 ter de la route des Gardes,
et venir consulter le docteur Destouches. Ce sont sou-
vent des pauvres, des indigents, des ouvriers de l’usine
Renault de Billancourt située en contrebas. Quand il ne
soigne pas, Céline écrit. Dès son retour en France, il pu-
blie
Féerie pour une autre fois
, qui sera accueilli dans l’in-
différence générale. Il faudra attendre la publication de
D’un château l'autre
en 1957, et de
Nord
, en 1960, pour que
Céline renoue avec un succès critique et commercial.
ÀMeudon, Céline reçoit ses amis fidèles, commeArletty
etMarcel Aymé ; mais aussi des journalistes qui espèrent
pouvoir rencontrer l’anachorète. Devant ces derniers, Cé-
line n’hésite pas à se donner en spectacle et à provoquer
l’opinion. Il ne renie rien de ses engagements passés, et
ceux qui espèrent un acte de contrition en seront pour
leurs frais. Pire, il soutient que les juifs devraient lui éle-
ver unestatue pour lemal qu’il aurait pu leur faire et dont
il s’est abstenu… Comme on s’en doute, l’interview fait
scandale, et le retentissement médiatique est énorme.
Cela n’empêchera pas Céline de correspondre avec un
jeune Juif du nom de Jacques Ovadia, et de lui écrire
«
Vive Israël bon dieu !
»ÀMeudon comme ailleurs, Céline
n’est pas à un paradoxe près. Mais le temps lui est dés-
ormais compté.Audébut de l'année 1961, ses forces l’aban-
donnent progressivement. Le 30 juin, Céline achève
péniblement
Rigodon
, son dernier roman et écrit sa der-
nière lettre à Gaston Gallimard. Le lendemain, 1
er
juillet,
il meurt d’une rupture d’anévrisme.
Le long voyage au bout de la nuit est terminé. Pour évi-
ter des débordements, la veuve de l’écrivain ne prévient
que des intimes. Le 4 juillet 1951, Céline estenterré au ci-
metière des Longs-Réages deMeudon enprésence d’une
vingtaine de personnes. Parmi elles, Arletty qui relate la
scène : «
Un chat roux s’installe près du cercueil pendant la
cérémonie ; un jeune enfant arrose des fleurs près d’une tombe
voisine, un houx poussait à côté. Ce qu’il eût souhaité. L’en-
fant, l’animal, l’arbuste. Je jette sur sa tombe un peu de terre
de Courbevoie.
»
n
© Photographie Luc Fournol
© DR
La première édition datée
de 1932 de
Voyage au
bout de la nuit
qui rendit
Céline célèbre. Il l’écrivit
alors qu’il était médecin
au dispensaire de Clichy.
© DR
Lucette Almanzor
avec ses élèves en
salle de danse.
Meudon. 1958.
© DR
bio
louis-FerdiNaNd CéliNe
(1894-1961)
?BCA
: 27 mai, naissance de Louis-Ferdinand
Destouches à Courbevoie.
?BCC
: La famille s’installe passage Choiseul à
Paris.
?C?@ :
S’engage pour trois ans au 12e cuirassiers
de Rambouillet.
?C?A :
Déclaration de guerre. Louis Destouches
est blessé à Poelkapelle.
1916
: S’engage comme surveillant de plantation
au Cameroun.
1919-1924
: Études de médecine.
1924-1929
: Est embauché par la section Hygiène
de la Société des Nations.
1929-1937
: Médecin au dispensaire de Clichy.
1932
:
Voyage au bout de la nuit
est mis en vente.
Obtient le prix Renaudot.
1936
:
Mort à crédit
. Rencontre Lucette Almanzor.
Mea Culpa
.
1937
:
Bagatelles pour un massacre
.
1938
: L
’École des cadavres
.
1940
: Médecin au dispensaire de Sartrouville.
1940-1944
: Médecin au dispensaire de Bezons.
1941
:
Les Beaux Draps
.
1943
: Se marie avec Lucette Almanzor.
1944
:
Guignol’s band
. 17 juin, fuite de Céline en
Allemagne. Séjours à Baden-Baden et Sigmaringen.
1945
: Arrivée à Copenhague. Céline est arrêté par
les autorités danoises.
1948
: En mai, installation du couple à
Klarskovgaard sur les bords de la Baltique.
1950
: Procès de Céline par contumace.
1951
: Céline est amnistié. Retour en France.
Installation à Meudon.
1952
:
Féerie pour une autre fois
.
1957
:
D’un château l’autre
.
1960
:
Nord
.
1961
: 1
er
juillet, mort de Louis-Ferdinand Céline.
Rigodon
, qu’il venait d’achever, sera publié à titre
posthume en 1969.
zoom
David Alliot
est né en 1963 et travaille
dans l'édition. Depuis vingt ans,
il consacre ses recherches littéraires
à Louis-Ferdinand Céline sur lequel
il a écrit plusieurs ouvrages. En 2011,
il a publié son «D'un Céline l'autre», aux
éditions Robert Laffont, et un «Céline,
idées reçues sur un auteur sulfureux»
aux éditions Le Cavalier Bleu.
© Astrid di Crollalanza
1...,12-13,14-15,16-17,18-19,20-21,22-23,24-25,26-27,28-29,30-31 34-35,36-37,38-39,40-41,42-43,44-45,46-47,48-49,50-51,52-53,...106
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