Vallée de la Culture n°10 - page 56

patrimoine
Boulogne
conserver un Patrimoine
vivant : entre restauration
et création
En 1932, conséquence de la crise finan-
cière mondiale qui l’a ruiné, les biens
d’Albert Kahn sont saisis. Sous l’influence
des admirateurs de sonœuvre, leDépar-
tement de la Seine acquiert en 1936 la
propriété et les collections d’images.
Malgré cettemobilisation, il est difficile à
l’époque d’appréhender la pertinence et
la cohérencede l’œuvredans sonensem-
ble. Considérés indépendammentles uns
des autres, certains biens sont revendus,
d’autres détruits, d’autres enfinconservés.
Les années passant, le jardin perd peu à
peusoncaractèrehistorique, devenantun
parc public de proximité, avec jeux d’en-
fants et bacs à sable.
Dans lecadred’unprojetpatrimonial rela-
tif à l’ensemble des collections lancé en
1989 et la création d’un musée classé
«Musée de France », des travaux de res-
taurationdes jardins sont envisagés. Une
réflexion sur le statut d’un tel patrimoine
est alorsmenée.
Un jardinpatrimonial, supposé conforme
à un état « originel », pose avec plus
d’acuité que d’autres éléments patrimo-
niaux, la question du temps qui passe.
Commentcontraindre à l’immobilitéune
matière vivante appelée à grandir, se
déployer, vieillir puis disparaître ?
Comment gérer les rapports d’échellequi
se modifient avec la croissance des
arbres ?Commentmaintenir dans l’esprit
initial des écosystèmes nécessairement
en évolution?
Pour répondre aux questions soulevées
par la gestion d’un jardin historique, les
équipes ont suivi les préconisations de
la Charte de Florence, adoptée par les
professionnels du patrimoine en 1982.
Selon cettedernière, la restaurationde ce
«monument vivant », suppose de laisser
subsister lesmarques de sonhistoire.
Le projet de restauration d’un tel site
a donc été guidé par des recherches
menées sur les états antérieurs du jardin
(plans, cadastres, titres depropriété, docu-
ments relatifs aux entreprises depaysage,
etc.). Le recours à l’importantedocumen-
tation iconographique (près de 2 500
clichés) a été ici fondamental.
une fidéLité créatrice
Chaque restauration est entreprise à la
fois dans un souci de restitution des
jardins à l’époque d’Albert Kahn, mais
également dans le respect de leur évo-
lution. Ainsi, les arbres du début du
XX
e
siècle encore viables sontmaintenus
afinde conserver lamémoiredes lieux en
y pratiquant une gestion écologique.
Outre ce travail de restauration à l’iden-
tique, des projets de restitution dans l’es-
prit de l’époque ont également été entre-
pris. Les autochromes sont une source
d'inspiration et de référence dans le tra-
vail quotidiendes jardiniers. La restitution
de la forêt vosgienne après la grande
tempête en est un parfait exemple. La
création du versant alsacien de la forêt
vosgienne venant compléter la partie
lorraine d’origine, aussi. Faisant suite à la
tempête de 1999, cette intervention a
permis d’agrandir la forêt et de mieux
isoler le jardin du reste de la ville.
Enfin, le jardin abrite une création con-
temporaine, remplaçant une partie très
dégradée du jardin d’origine. L’auteur,
Fumiaki Takano, a souhaité rendre un
hommage à la vie et à l’œuvre d’Albert
Kahn. Pour cela, il a utilisé le vocabulaire
traditionnel des jardins aristocratiques,
synthétisant dans un espace contraint
l’ensemble des paysages emblématiques
du Japon.
À ces projets de réhabilitation de grande
envergure, il faut souligner le travail
continu nécessaire à la conservation de
ces collections végétales. Une équipe
d’une dizaine de jardiniers veille à leur
entretien, cherchant à garantir le juste
équilibre entre les différentes vocations
du lieu (historique, paysagère, sociale,
écologique…). Parallèlement, les recher-
ches permettant de documenter son
histoire se poursuivent. Elles sont diffu-
sées aupublic au seind’expositions, publi-
cations et visites.
Les jardins préservés dans
le respect des lieux
Dans la perspective d’une meilleure
conservation des collections, d’une pré-
sentation renouvelée et d’un accueil des
publics conforme aux exigences d’un
musée moderne, le conseil général s’est
engagé dans un chantier de rénovation
du site, réalisé par l’architecte Kengo
Kuma, avec la constructiond’unnouveau
bâtimentetla réhabilitationdebâtiments
existants. Ces derniers seront dans une
largemesure ouverts au public.
Les interventions effectuées au sein du
jardin, à lamarge, serontmenées dans le
respect des règles de conservation et
prendront en compte les logiques paysa-
gères dictées par l’histoire et l’esprit
du lieu.
L’articulation du nouveau bâtiment et du
jardin anglais a été conçue dans un réel
souci de symbiose. Les plantations envi-
sagéessurcesecteurresterontdansl’esprit
de la scènepaysagèrecontiguëpour assu-
©MuséeAlbert-Kahn–DépartementdesHauts-de-Seine
Étroit chemin du
« sanctuaire japonais »,
ponctué de pierres.
Autochrome
d’Auguste Léon,
avril 1911.
1...,46,47,48,49,50,51,52,53,54,55 57,58,59,60,61,62,63,64,65,66,...124
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