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sceaux

issy-Meudon

Expositions

Fraternités artistiques

Lepeintre«ensauvagé»partcependantrarementseul sur

le motif. Tout au long du XIX

e

siècle, des communautés

artistiques se forment en Île-de-France qui supplantent

le modèle de l’atelier parisien. Les artistes travaillent en

groupe, dans « l’atelier grandeur nature », à l’Isle-Adam,

à Cernay, àGrez-sur-Loing, àAuvers-sur-Oise... Barbizon

fut le creuset artistique le plusmarquant, réunissant des

peintres français comme étrangers, permettant au

pleinairisme de gagner l’Europe entière. L’attrait de la

forêt de Fontainebleau, répertoire de sujets variés, était

redoublé par l’accueil chaleureux réservé aux artistes dans

un lieu qui a fait date : l’auberge Ganne. Dans le roman

Manette Salomon

, les frères Goncourt donnent une idée

de l’atmosphère joviale qui régnait dans l’auberge :

« Le

dîner était la grande récréation de la journée. Ce qui le sonnait,

c’était le coucher du soleil […]. Un à un, les peintres rentraient

dans cet établissement qui pavait de lumière la rue du village

[…]. Des rires tombaient dans les plats. Une grosse joie de

jeunesse, une joie de réfectoire de grands enfants, partait de

tous ces appétits d’hommes avivés par l’air creusant de toute

une journée en forêt »

. Le registre de police de l’auberge

conserve la trace des artistes qui y sont passés de 1848 à

1861 : le peintreThéodore Rousseau, le sculpteurAntoine-

Louis Barye, le caricaturiste Honoré Daumier, ainsi que

les peintres dits académiques comme Thomas Couture

et Jean-LéonGérôme. Onpourrait ajouter le photographe

EugèneCuvelier, qui épousa la fille de l’aubergisteGanne

et choisit Corot comme témoin de mariage. Fontaine-

bleau devient un lieu de référence, où les générations

artistiques se passent le témoin. Au printemps 1863, alors

qu’ils viennent de se rencontrer dans l’atelier de Charles

Gleyre, peintre officiel, les jeunes Alfred Sisley, Auguste

Renoir, ClaudeMonet et Frédéric Bazille s’affranchissent

de son enseignement et vont en forêt de Fontainebleau,

sur les pas de Corot et de Jean-François Millet.

Bougival fut aussi un de ces foyers artistiques élus par les

peintres, et les frères Goncourt lui réservent cet éloge

dans leur

Journal

, le 27 août 1855 :

« Bougival, la patrie et

l’atelier du paysage, où chaque arbre, chaque saule, chaque

déchirure de terrain vous rappelle une exposition, où l’on se

promène en entendant ‘’Ceci a été fait par ***, ceci a été

dessiné par***, ceci a été peint par *** ‘’»

. En 1844, Henri-

Charles-Antoine Baron, Français et Célestin Nanteuil,

élèves de Corot, amarrent un brick, qu’ils surnomment

la Grenouille

, sur l’île d’Aligre (en face de Bougival), et

forment une colonie artistique. Vingt-cinq ans plus

tard, en 1869, Monet et Renoir, sur les mêmes rives,

expérimentent les touches de plus en plus séparées, la

simplificationdes contours, et ouvrent la voie de l’impres-

sionnisme. Alors que la première génération célébrait

une nature préservée de la modernité, Monet et Renoir

montrent la campagne des environs de Paris telle qu’ils

la voient, urbanisée et livrée aux loisirs des Parisiens.

a

u XIX

e

siècle, la peinture de pay-

sage, genre jusque-là mineur, est jetée au centre des

débats artistiques. Retour à la nature et rejet de la culture

classique assimilée à l’Italie : tels sont les lieux communs

des controverses où l’Île-de-France apparaît comme le

territoire d’une alternative libératrice pour les peintres.

Des romantiques aux impressionnistes, les contempo-

rains assistent, de salon en salon, à la naissance de

nouveaux motifs, inspirés des paysages franciliens que

chaque génération artistique s’approprie.

L’œil sauvage

Alors que le voyage en Italie reste l’absolu de la formation

académique, les peintres de la génération romantique,

autour de 1830, posent un regard neuf sur les paysages

qui entourent la capitale.

« On va bien loin chercher des

motifs, on n’en trouve pas de plus beaux que ceux que l’on peut

trouver à Paris ou aux environs : le Parc de Saint-Cloud est,

en son genre, aussi grand de style que la campagne de Rome »

,

écrit le peintre Paul Huet. Les artistes cultivent en Île-de-

France un

«œil sauvage »

, recherchent le retour à la nature

pour s’abstraire de la culture classique et se délivrer des

sujets de la peinture d’histoire. L’Île Seguin fut pour cette

génération unde ces « lieux-motifs », où la nature exerce

un magnétisme mystérieux, nouveau et libérateur. Un

critique d’art décrit l’île en ces termes en 1869 :

« L’Île

Seguin existe encore en pleine Seine, non loin de Sèvres, mais

dépouillée de ses grands arbres, tondue, fauchée. Au temps où

Paul Huet l’habita, l’île était hérissée et verdoyante comme

une forêt du Nouveau Monde. La nuit, les maraudeurs

venaient y scier les arbres, et les braconniers y tendaient des

collets »

.

Le choix de ces nouveaux objets de contemplationaccom-

pagne un changement majeur de la façon de peindre.

Les artistes s’évadent des ateliers : c’est le plein air. Les

peintres s’imposent parfois de rudes conditions de travail,

dans le froid, sous la pluie, pour saisir avec sincérité les

paysages sans

decorum

à l’antique. DeThéodore Rousseau

à Claude Monet, les peintres revendiquent un nouveau

professeur, la nature. Le peintre François-Louis Français,

élève de Corot, va jusqu’à signer

« Français, élève de

Bougival »

.