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châtenay-

malabry

Vallée-aux-Loups

L

e court chapitre du

Génie du chris-

tianisme

consacré aux églises gothiques exprime une

réserve (« l’ordre gothique,

au milieu de ses proportions

barbares

, a toutefois une beauté qui lui estparticulière »)

que confirme un article publié par Chateaubriand en juin

1802, soit quelques semaines après la parution du

Génie

;

on y lit qu’«

un monument gothique peut plaire par son

obscurité et par la difformité même de ses proportions ; mais

personne ne songe à bâtir un palais sur son modèle »

.

Cette phrase estempruntée à un article sur Shakespeare ;

elle suit immédiatement la considération qu’une beauté

dans l’œuvre du dramaturge anglais n’excuse pas ses

innombrables défauts, et – c’était l’enjeu de l’article –

qu’une imitation du théâtre de Shakespeare serait désas-

treuse pour la scène française (de même, si l’on suit le

parallèle, qu’une imitationde l’architecture gothique serait

désastreuse pour l’architecture classique).

On se demandera peut-être pourquoi apparaît ici Shakes-

peare, mort au XVII

e

siècle, alors qu’il est question du

Moyen Âge ? La périodisation historique n’est pas pour

Chateaubriand celle que retiennent nosmanuels. Shakes-

peare appartient à ses yeux auMoyen Âge, il enmarque

la fin, la fermeture. Ce qui concerne le dramaturge nous

intéresse par conséquent au premier point, s’agissant de

la signification pour Chateaubriand duMoyenÂge. C’est

un assez large sujet, dont on veut ici pointer un élément.

Après la révolution de Juillet, Chateaubriand a revu sur

un plan beaucoup plus large la conception des

Mémoires

de sa vie

, qu’il avait, en même temps qu’une

Histoire

,

commencés sous l’Empire, et dont il n’avait en 1833 écrit

qu’une partie. Dans le premier livre qu’il rédigea ensuite

–dans la perspective nouvelle des

Mémoires d’outre-tombe

,

où l’Histoire devait prendre une place bien plus impor-

tante qu’auparavant –, on trouve une considération très

remarquable, qui porte précisément sur les mémoires,

ces nouveaux mémoires qu’il entreprend, par compa-

raison avec l’histoire (et lui-même avait publié quelques

années plus tôt ce qu’il avait rédigé au titre de ses

Études

historiques

) :

« Je vous fais voir l’envers des événements que

l’histoire ne montre pas ; l’histoire n’étale que l’endroit. Les

Mémoires ont l’avantage de présenter l’un et l’autre côté du

tissu : sous ce rapport, ils peignentmieux l’humanité complète

en exposant, comme les tragédies de Shakespeare, les scènes

basses et hautes. Il y a partout une chaumière auprès d’un

palais, un homme qui pleure auprès d’un homme qui rit, un

chiffonnier qui porte sa hotte auprès d’un roi qui perd son

trône […] »

. Extrait qu’on a profit à rapprocher d’un autre,

contemporain :

« |l’] architecture du moyen âge offrait

un mélange du tragique et du bouffon, du gigantesque et

du gracieux, comme les poèmes et les romans de la même

époque. »

Il y a de la sorte quelque chose du Moyen Âge qui est

introduit dans la conception et la mise en œuvre des

Mémoires d’outre-tombe

, et cela passe par l’œuvre

exemplaire de Shakespeare. Directement ? Pas du tout.

L’imitationdudramaturgequ’il récusait en 1802, Chateau-

briand continue, et de façon encore plus virulente, de la

récuser en 1836 ; en revanche, il s’agit d’éclairer la trame

des événements relatés par les

Mémoires

dequelque chose

de sa lumière – une lumière indirecte, la lumière de la

lune, qu’affectionnait tantChateaubriand. Il fait lui-même

le rapprochement :

« Le comédien de tréteaux, chargé du rôle du spectre dans

Hamlet, était le grand fantôme, l’ombre duMoyenÂge qui

se levait sur lemonde, comme l’astre de la nuit, aumoment

où le Moyen Âge achevait de descendre parmi les morts :

siècles énormes queDante ouvrit, que fermaShakespeare. »

C’est un autre aspect de la relation de l’œuvre et de la

pensée de Chateaubriand avec le Moyen Âge, et pas le

moindre, assurément : les

Mémoires d’outre-tombe

, qui

font comme on sait amplemoissonde la

« faculté créatrice

peu commune »

duMoyenÂge (Jean-Claude Berchet) qu’a

confirmée ou révélée à partir de 1819 la réédition par

Claude-Bernard Petitot de la

Collection des Mémoires

relatifs à l’Histoire de France – les Mémoires d’outre-tombe

ont été écrits, aussi, à la lumière de la lune de ces

« siècles

énormes »

.

n

La réédition complète

des JK volumes par

Claude-Bernard Petitot

de la

Collection des

Mémoires relatifs à

l’Histoire de France

peut être consultée à la

bibliothèque du

Domaine départemental

de la Vallée-aux-Loups –

Maison de

Chateaubriand.

MéMoires D’outre-toMbe

et du Côté des

Par Bernard Degout

Directeur de la Maison de Chateaubriand

Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups

?