Revue Vallée de la Culture n°8 - page 112

boulogne
Enquête
9. Quels sont ses rapports avec les nouvelles techniques
de l’époque?
Il s’enthousiasme surtout pour les techniques qui amé-
liorent la communication entre les hommes. En 1908, il
se déplace plusieurs fois au camp d’Auvours pour voir
voler Wilbur Wright. L’aviation naissante lui paraît
annoncer l’abolition des frontières, constituer une
promesse de paix. Il possède plusieurs automobiles, aime
la vitesse…Mais il lui arrive aussi de préférer une voiture
attelée lorsqu’il s’agit de découvrir un pays. Ainsi, en 1910,
lors d’un périple en Norvège, il refuse l’automobile
qu’offre de lui prêter une relation d’affaires, quitte à che-
miner fort lentement : grand ami des animaux comme
des petites gens qu’il croise, ce banquier au cœur sensible
fait monter toutes les côtes à vide, car il refuse que les
chevaux tirent les hommes en montée !
Les technologies de l’image le fascinent également,
puisque c’est sur elles qu’il fonde son œuvre la plus
connue : lesArchives de la Planète. Les deux innovations
les plus récentes des frères Lumière, le cinéma et la photo-
graphie en couleurs (autochrome) lui offrent en effet
encore mieux que la communication spatiale, une sorte
de « pont » temporel entre les époques :
« témoins restés
vivants quoique disparus »
, ces documents doivent
permettre aux générations futures de se nourrir des
« enseignements que comporte le tableau direct de l’évo-
lution »
. L’image est également au cœur des travaux du
Dr Comandon, spécialiste de microcinématographie.
Cependant, vers 1930, sa confiance envers la technique
s’est estompée : il classe l’aviation parmi les progrès en
évolution constante dont l’accélération déséquilibre la
planète. La
« technologie »
et la
« technocratie »
lui appa-
raissent comme facteurs de
« décoordination »
de tous les
secteurs de la vie. Il veut, écrit-il,
«défragmenter lamentalité
spécialisée des cadres de la communauté »
.
Il prend ainsi ses distances avec la vision d’un progrès
triomphant, héritée des Lumières, et avec la technocratie
saint-simonienne.
10. Quelles relations entretient-il avec le monde des
sciences ?
Fin 1879, lorsqueKahn reprend ses études sous la houlette
de Bergson – élève à Normale Sup en qui il trouve à la
fois un mentor et un camarade – il prépare simulta-
nément les baccalauréats ès lettres et ès sciences. Il échoue
en sciences, mais ne cessera, tant par ses lectures que par
ses actions, d’approfondir ses connaissances, de se tenir
au courant des travaux des savants et de soutenir certaines
recherches.
Les sciences de l’homme, de la vie et de l’univers – de
l’infiniment petit à l’infiniment grand – l’attirent parti-
culièrement, ainsi que les progrès de la médecine.
Mais, là aussi, son approche n’estpas uniquement ratio-
naliste. Kahn, comme Bergson, se montre très sensible
à la tendance qui cherche alors à intégrer l’étude des
phénomènes paranormaux dans le champ de la science.
Caractéristique du « moment 1900 », ce courant attire
d’éminents savants tels queCamille Flammarion, Charles
Richet, ÉdouardBranly, Pierre etMarieCurie, ÉmileBorel,
Paul Langevin…
Kahn estpersuadé que
« tout est vivant »
et que toutes les
formes de vie du cosmos sont en interaction. Au-delà du
pacifisme, qui n’est qu’un moyen de préserver la vie, il
voit dans la connaissance scientifique et la documen-
tation la solution auxmaux de l’humanité. Ainsi s’explique
qu’il ait fait installer dans sa propriété un laboratoire pour
le biologiste Jean Comandon. On ne peut comprendre
la cohérence de l’œuvre deKahn si on se limite à sa facette
« artisan de la paix ». Le fil rouge qui tisse un lien entre
toutes ses fondations n’estpas la paix, mais l’amélioration
de la vie, découlant de sa compréhension à l’échelle du
cosmos comme de la cellule. Au soir de son existence, il
confie d’ailleurs :
« Ce que j’ai cherché, c’était le chemin de
la vie et les principes de fonctionnement de l’univers »
.
À la recherche d’Albert Kahn. Inventaire avant travaux.
Jusqu’au 21 décembre 2014.Musée et jardinKahn, 10-14,
rue du Port à Boulogne. 4€ tarif plein, 2€50 tarif réduit.
Tél. : 01 55 19 28 00 / albert-kahn.hauts-de-seine.net
Petit temple shivaïte
à Ahar (environs d’Udaipur).
Inde, 1927-1928.
Autochrome 9 x 12 cm
de Roger Dumas.
La forêt vosgienne
du jardin d’Albert Kahn
sous la neige en 1950,
dix ans après la mort
de son créateur.
Filmcolor 12 x 9 cm,
opérateur non
mentionné.
© Musée Albert-Kahn - Département des Hauts-de-Seine
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