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d
section armontre le corps en frag-
ments, le regard distancié, les écrans qui se vident et
s’éteignent les uns après les autres, réduisant l’image à
l’état de souvenir et chassant l’autoportrait virtuel de
Jean-François Rauzier du champ de la photographie.
L’image devient constat de disparition. Démiurge, Rau-
zier se sert de la création pour en interroger l’ambiguïté :
l’artiste n’existe-t’-il que par l’écran ?
Dissection
est le témoin le plus intime de cette quête
identitaire, inséparable de l’angoisse de la disparition
qui sous-tend, non seulement l’autoportrait, mais l’œu-
vre entière. Les hyperphotos de Jean-François Rauzier
fascinent, intriguent, aspirent le spectateur dans la suc-
cession d’histoires qu’elles combinent à la manière des
pièces d’un puzzle. Explorateur jusqu’au vertige des
formes et du sens, Rauzier construit une image men-
tale, moteur de sa pensée. Détaillée et hyperréaliste, sa
photographie garde toujours son mystère pour susci-
ter
« l’enchantement nécessaire à la vie des idées »
. Rauzier
tire la fantasmagorie du quotidien le plus banal par un
travail introspectif d’appropriation du monde.
Dissec-
tion
serait donc un autoportrait dont la mise en scène
de la disparition en apprivoise l’idée.
L’hyperphoto, un jeu de rôle.
Dissection
est en fait un double portrait, conçu comme
un tableau, une image dialectique dont une part demeure
intime et secrète. Ce qu’accepte de livrer « en clair » cet
autoportrait dédoublé, passe par une triangulation des
regards entre spectateur - visage - personnage. De dos,
dans sa neutralité, le personnage représente aussi bien
Rauzier que n’importe quelle silhouettemasculine, coif-
fée d’un feutre, masquant ce qui individualise. De face,
le visage de l’artiste d’où toute expression s’est absentée,
offre dans unemise à nu la vérité de ses accidents, de sa
singularité, de ses détails narcissiques. Nez, bouche, peau
poreuse, poils de barbe, œil, pied… le corps de l’artiste
est « disséqué », Rauzier isolant chacun de « ses » frag-
ments comme une anticipation de « l’éternelle solitude
de lamort ». Cette photographie est construite sur deux
points de vue perspectifs correspondant, l’un au passé,
l’autre au futur, qui semblent s’abolir. Sorte de « néga-
tif créateur », l’œuvre de Rauzier repose sur l’idée d’un
grand dialogue de la vie avec elle-même dans une nou-
velle dimension de l’espace-temps.
À l’image, si l’on ose dire, de l’écriture oulipienne de
Georges Perec, le processus photographique de Jean-
François Rauzier dissèque le quotidien, intègre la
contrainte, l’exhaustivité, le goût des histoires emboî-
tées, le désir de collection (façades de la
D906
). Rauzier
invente sa propre
« Vie, mode d’emploi »
, assemblant
sur sa route les fragments du réel, avec l’état d’esprit d’un
Jack Kerouac. Ses images instaurent une liberté per-
manente, allers et retours entre l’enfance et l’âge adulte,
passage du rêve au réveil des sens contenus dans le ver-
tige de l’«Aube » rimbaldienne ou dans l’instant prous-
tien de la dégustation de
« la madeleine »
, ce surgisse-
ment de la mémoire involontaire. Chaque image de
Rauzier porte un fragment du « rêveur éveillé ».
n
L’écran d’ordinateur est sa
Clef des songes
. Jean-François Rauzier
travaille volets fermés, plongé dans un univers virtuel proche de
celui de Magritte dans
La Trahison des images
. Tentative d’analyse
de
Dissection
, son autoportrait crypté…
JeaN-fraNçOIS rauzIer
« rêVeur ÉVeIllÉ »
Anne Brandebourg
Historienne de l’art
« Au moment où par l’intermédiaire
des réseaux sociaux, le monde
se met en scène, à l’écran, celui-ci
m’isole,m’intériorise, permet de
laisser l’inconscient parler ».
Dissection,
2007,
180X180cm
1...,19,20,21,22,23,24,25,26,27,28 30,31,32,33,34,35,36,37,38,39,...114
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