Vallée de la Culture n°10 - page 39

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Château du Domaine départemental de Sceaux. Il n’est
pas douteux que le visiteur y soit surpris du peu de
popularité du dessinateur et du peintre, dont le nomn’est
plus aujourd’hui cité que dans le cercle réduit des ama-
teurs, mais avec quel enthousiasme !
Car l’intense a ivité de Desportes commençait par une
captation libre du vivant, dénuée de tout ce qui s’iden-
tifie d’ordinaire au labeur académique. Qu’il se fût agi de
paysage, de plantes ou d’animaux, l’artiste se lançait avec
gourmandise dans l’étude inlassable de ses motifs :
dessins de premier jet, puis feuilles mises au propre,
combinant en une préoccupation déjà chromatique la
pierre noire, la sanguine et la craie blanche. Du dessin,
l’artiste passait rapidement à l’huile, toujours sur papier,
pour fixer avec plus d’intensité le clair-obscur, les infinies
nuances de la couleur et la variété des textures. Le pelage
ou le plumage des animaux demandaient à ce que l’imbri-
cation de ces trois éléments du langage pi ural fût d’une
parfaite organicité car – lemaître le savait – la prégnance
de l’altérité bestiale sur le regard humain, quelle que soit
la compétence critique de ce dernier, développe une sorte
de capacité naturelle à la perception immédiate et précise
de ce qui constitue un danger ou, à tout le moins, une
étrangeté inquiétante : tant il estvrai que l’animal qui est
aussi en l’homme garde une part de son instin .
Cette capacité à saisir, à rendre et à sublimer la diversité
du monde animal, en une analyse fulgurante des
formes et des mouvements, presque des intentions, est
assurément ce qui constitue le génie de Desportes.
« Sublimer », cela veut dire « inscrire dans un ordre
esthétique » ou, pour le dire autrement, partir d’une réa-
lité triviale et, par voie poétique, l’élever à son essence.
La jon ion entre le naturel, ancré dans le territoire, et
la science, occupant les esprits, se faisait précisément par
lemoyen de cet art, si exigeant, du premier XVIII
e
siècle.
L’art de vivre
Desportes était d’ailleurs si conscient de cet engagement
esthétique total qu’il ne négligea rien qui ne relevât de
l’art de vivre. Ses études de paysages préparatoires au
fond de ses tableaux, constituent autant de calmes
méditations sur le cadre hospitalier de la campagne
francilienne devenue, sous le pinceau de l’artiste, « douce
France » affirmée, pour ne pas diremilitante. L’obje ivité
sereine –étonnante à cette époque –de ces esquisses, est
servie par une grande économie demoyens, qui anticipe
d’ailleurs sur l’art du paysage tel que la pratiqueront, un
jour, les maîtres de la forêt de Fontainebleau. À l’autre
bout de sonpetitmonde, le peintre fut également sensible
à l’écrin que l’artisanat de luxe français, lui aussi en plein
essor, offrait à la présentation des produits de la nature :
plats, terrines, soupières, aiguières ouvragées, le tout en
argent ou en vermeil, constituent le présentoir quasi
sacrificiel sur lequel l’animal mort, le fruit soudainement
arraché à son arbre ou la fleur fraîchement coupée
trouvent une ultime dignité. Sèvres conserve plusieurs
esquisses deDesportes qui évoquent ainsi l’art consommé
des plus grands orfèvres de son temps (l’âge d’or de
Thomas Germain !), alchimistes très véritables, trans-
muant en des formes devenues organiques et vivantes,
des métaux durs, inertes et froids.
Sceaux combinait alors, en trois dimensions, tous les
éléments qui forment le fonds d’atelier de Desportes,
depuis le paysage vallonné, fertile et giboyeux, jusqu’aux
trésors artistiques d’une maison qui fut Colbert, Maine
et Penthièvre. Ne doutons pas alors que le charme opère
et qu’une très authentique harmonie préside au prin-
temps de Sceaux.
n
« Desportes passa incessamment du monde
rustique et sauvage, où il puisait son
inspiration et ses modèles, à la société de
cour la plus raffinée et la plus exigeante qui
fût alors. »
L’Œil dumaître
,
Esquisses d’Alexandre-
François Desportes
(1661-1743)
Collections de la Cité
de la Céramique
Petit Château du Domaine
départemental de Sceaux
Du 20 mars au 28 juin 2015
Ouvert tous les jours
sauf le lundi, de 14h à 18h30
Faisan mort,
vers 1692-1700.
Huile sur papier, 20 x 71 cm,
Sèvres, Cité de la Céramique.
© CG92/Olivier Ravoire
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