Vallée de la Culture n°10 - page 38

sCeaux
Exposition
L
orsqu’il parut devant lesmembres
éminents de l’Académie royale de peinture et de
sculpture, le 1
er
août 1699, François Desportes savait leur
présenter un tableau surprenant : il lui avait été demandé
de produire, pour morceau de réception, une toile qui
fût, selon son choix, un portrait ou un « tableau d’ani-
maux », deux genres où il excellait. Il avait tout d’abord
pris le parti de peindre du gibier mais, soucieux de
montrer son excellence, avait finalement résolu de
combiner ses deux spécialités enunmagnifique
Autopor-
trait en chasseur
. L’artiste bravait ainsi les conventions
mais il savait que, si le ton était juste et le métier parfait,
le pari serait gagné. Les académiciens ne s’y trompèrent
pas et le reçurent pour l’un des leurs.
La tradition voulait qu’un peintre se représentât plutôt
avec les attributs de sonmétier. En choisissant de paraître
en chasseur, Desportes proposait une sorte demanifeste
de son art : n’était-il, au fond, qu’un simple peintre
d’animaux ou, plus justement, un naturaliste les « pour-
chassant » avec crayons et pinceaux, devenus en l’occur-
rence instruments de connaissance zoologique ?
Au service des rois
Né à Champigneulle (Ardennes) en 1661, Desportes avait
appris le genre chezNicasius Bernaerts, lui-même peintre
animalier de renom, d’origine flamande, établi à Paris.
Associé à la réalisation de différents chantiers royaux,
comme peintre « à spécialité », il avait fait un séjour en
Pologne où il était devenu, pendant quelquesmois (1695-
1696), portraitiste de la cour. De retour en France, il avait
participé à l’exécutionde nombreux ensembles décoratifs,
constitués de lambris où il insérait, parmi les arabesques
de Claude III Audran, des animaux représentés dans des
situations anecdotiques, voire truculentes. Son élévation
au rang d’académicien lui ouvrit le chemin des com-
mandes royales et, de 1700 à sa mort en 1743, Desportes
ne cessa de satisfaire les désirs de Louis XIV, puis du
régent et de LouisXV, et de produire, pour leurs plus belles
résidences de campagne, des portraits de leurs chiens
favoris, des scènes de chasse ou des buffets extravagants.
Cette a ivité très spécifique – qu’il dut bientôt partager
avec son jeune concurrent Jean-Baptiste Oudry (1686-
1755) – l’obligeait à passer incessamment du monde
rustique et sauvage, où il puisait son inspiration et ses
modèles, à la société de cour la plus raffinée et la plus
exigeante qui fût alors. Et comme il faut croire que
l’exercice de l’aristocratie se joue sur un territoire défini
que transcende un esprit soucieux d’accomplissement,
Desportes était, par les sujets très ordinaires de ses toiles
livrées à des hommes d’exception, enmesure de devenir
l’un des héros de ce que l’on devait appeler un jour « le
grand goût français ». Constatons que ses œuvres parti-
cipent en effet de cette esthétique dupremierXVIII
e
siècle
qui, dans le concert des arts – y compris décoratifs – et
de la littérature, entre les années 1680 et 1740, représente
unmoment d’excellence absolue, le naturel s’y combinant
harmonieusement à la science et au«beau faire ». Encore
fallait-il que le peintre sût élever le commun à l’extraor-
dinaire…
Le fonds de Sèvres
Chose rare, le musée de la manufa ure de Sèvres
conserve le fonds d’atelier de Desportes. Cet ensemble
remarquable, constitué de plusieurs centaines d’études
et de quelques tableaux, échut à Sèvres en 1785, après
achat àNicolas Desportes, neveu de l’artiste, par la surin-
tendance des Bâtiments du roi, au profit de la manu-
fa ure qui devait y trouver des modèles. Le musée en a
consenti plusieurs dépôts importants : au Palais des
Beaux-Arts de Lille, au musée de la Vénerie à Senlis, au
musée de la Chasse et de la Nature à Paris et, enfin, au
Musée international de la Chasse de Gien. Par bonheur,
il reste encore à Sèvres d’assez nombreux chefs-d’œuvre
de Desportes pour en présenter un ensemble incompa-
rable au public, dès lemois demars prochain et jusqu’en
juin, dans le cadre désormais bien identifié du Petit
Tête de tigre,
vers 1740.
Pierre noire, sanguine
et craie blanche sur
papier, 18,5 x 17 cm,
Sèvres, Cité de
la Céramique.
Coussin aux glands
d’or,
vers 1692-1700.
Huile sur papier,
27,7 x 53,3 cm, Sèvres,
Cité de la Céramique.
© CG92/Olivier Ravoire
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