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Mais aussi Lautner, de Broca, Molinaro…
Heureusement, d'autres réalisateurs privilégient le ressort
comique,même si la chronique sociale demeure. Georges
Lautner invente le film d'espionnage déjanté avec
Les
Tontons flingueurs
àRueil-Malmaison (1963) ; CliveDonner
installe à la villa Castel de Sèvres le cabinet d'un Peter
Sellers déchaîné (
What's new Pussycat
, 1965) ; Philippe de
Broca conte
Les Tribulations d'un Chinois en Chine
et à
Bagneux (1966) ; Gérard Oury parodie la seconde guerre
mondiale dans une
GrandeVadrouille
qui fait halte à Saint-
Cloud (1966).
En utilisant les studios de Billancourt pour les scènes
d'intérieur d'
Oscar
(1967) et la villa Stein construite par Le
Corbusier à Vaucresson pour les extérieurs, Édouard
Molinaro semblemarquer la find'une époque et le début
d'une autre.
Lors des trois décennies qui vont suivre, les studios de
Billancourt, Courbevoie etNeuilly-sur-Seine vont fermer
leurs portes tandis que celui de Boulogne va se tourner
irrémédiablement vers la télévision pour survivre. Inver-
sement, lesHauts-de-Seine vont devenir ungigantesque
magasin de décors à ciel ouvert. Les professionnels
puisent allègrement dans lestock disponible : l'ancienne
imprimerie Dupont à Clichy (
Le Cercle rouge
, 1970), le
cimetière animalier d'Asnières-sur-Seine (
Le Dernier
Tango à Paris
, 1972), le tennis du Fruit défendu à Rueil-
Malmaison (
Un éléphant ça trompe énormément
, 1976),
le cimetière de Clamart (
L'Inspecteur La Bavure
, 1980), etc.
Mais le décor naturel reste à sa manière un studio
permettant de prendre la mesure d’une époque ou de
susciter des résonances. Il redessine les reliefs et les
souligne pour accrocher la lumière ; son objectif n'étant
pas de reproduire la réalité mais de composer avec les
lignes, les couleurs, les formes et leurs volumes. Le terme
«décor naturel »devient unoxymore, les endroits choisis
étant transformés et réappropriés par ceux qui les trans-
forment. La réalité n’est jamais qu’un simple support de
la fiction, toujours modifiée au service du récit.
Vers un retour au studio ?
Avec le changement de siècle, l’arrivée du numérique et
des nouvelles technologies a changé une nouvelle fois la
donne. Lorsque Jean-Pierre Jeunet investit le hangar Y
deMeudonpour faire exploser à renforts d’effets spéciaux
le zeppelin rempli d’hélium d’
Un long dimanche de
fiançailles
(2004), il rejoint à sa manière Georges Méliès.
L’utilisationde plus en plus fréquente de l’écran vert pour
reconstituer des décors naturels virtuels semble
aujourd’hui engager le cinéma vers un retour au studio.
On en vient alors à imaginer que le département des
Hauts-de-Seine, grâce à des plateformes ultramodernes,
pourra rejouer prochainement, dans un joyeux remake,
le rôle qui fut le sien lorsque le cinéma s'appelait encore
« l'industrie du rêve »
.
« Alors que les studios ferment leurs portes,
les Hauts-de-Seine deviennent un gigantesque
magasin de décors en plein air. »
© Gilles Plagnol/Ville de Saint-Cloud