Revue Vallée de la Culture n°8 - page 89

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DU GOÛT
L’EMPIRE…
Forte des créations de 55 artistes et de grands chefs étoilés, la 10
e
édition
de la Biennale d’Issy a lancé, de septembre à novembre auMusée français de
la carte à jouer, une véritable croisade intitulée
L’art du goût – le goût de l’art !
fresques, mosaïques, manuscrits, marqueterie et majo-
ritairement de peintures. Grâce au « fait humaniste » de
la seconde Renaissance italienne (XVI
e
siècle), la nature
morte a changé de statut : de simple décor (traduisant
l’émotion poétique dégagée par la beauté d’un assem-
blage de fleurs, de fruits, d’objets), elle est devenue
« peinture de genre » connaissant un apogée au XVII
e
appelé « siècle des Vanités ». Car sous son apparente
humilité cette peinture, qualifiée de « vie silencieuse »,
intègre une symbolique mystique qu’André Chastel
désigne par
« natures mortes moralisées »
. Qu’elle soit
chargée d’allusions spirituelles ou sublimée au fil des
siècles sous le pinceau de Chardin, Manet, Cézanne,
Matisse..., qu’elle s’inscrive dans une nouvelle esthétique
cubiste avec Braque et Picasso ou qu’elle touche à
l’intériorité et se fasse intensément méditative avec
Morandi, la peinture de naturemorte trouve ses hérauts
à chaque époque.
Avec le PopArt, on assiste à un détournement majeur et
à un nouvel engouement. Aujourd’hui, la nature morte
est militante, l’art en fait une arme pour décrire nos
modes de consommation et leurs dérives. Avec passion
et gourmandise, peintres, sculpteurs, vidéastes, photo-
graphes, plasticiens et chefs étoilés ont répondu à la
question de la Biennale d’Issy par des œuvres poétiques
ou visuellement savoureuses, faussement classiques ou
ironiquement décalées, voire iconoclastes, dans la dénon-
ciation de la «malbouffe », du gaspillage, des pesticides,
de la pollution...
Q
u’enest-il de la «naturemorte »
auXXI
e
siècle ? s’estinterrogéeChantalMennesson, prési-
dente de la Biennale. Le parcours s’est donc placé sous
l’égide d’un tableau signé Robert Combas (2003) repré-
sentant une
Nature morte
qui, sorte de géant bleu,
parcourt et enjambe les rives de l’histoire de l’art. Les
termes mêmes du mouvement que Combas a cofondé
Figuration libre
– au début des années 80, contiennent
les caractéristiques de son œuvre protéiforme. Et c’est
bien
« librement, à toutes profondeurs »
(Staël) que l’artiste
fait « figurer », sans frontières et sans hiérarchie, toutes
sortes de sujets et de formes d’arts qu’ilmet en résonance
(art brut, océanien, art religieux, images africaines ou
arabes, fresquesmythologiques, statues-totems, légendes
bibliques, bande dessinée mais aussi influence de la
musique rock).
Dans un espace saturé de signes et de motifs simplifiés,
savamment assemblés, toute l’Histoire du monde et
toutes les origines géographiques se côtoient. La palette
est exubérante, les figures sont cernées de noir comme
dans l’art du vitrail dont Combas reprend le bleu pour
décrire un espace spirituel qui place cette nature morte
sur l’autel des « Vanités ». Une « peinture à histoires »
réunissant les siècles.
Natures mortes militantes
Eneffet, legargantuesque appétit de«peinturedenatures
mortes » s’est manifesté depuis l’Antiquité, malgré
quelques éclipses, jusqu’au XX
e
siècle, sous forme de
Anne Brandebourg
Historienne de l’art
Robert Combas,
Nature morte géante
et bleu en sus
, 2003,
acrylique sur toile,
(282 cm x 218,5 cm)
1...,79,80,81,82,83,84,85,86,87,88 90,91,92,93,94,95,96,97,98,99,...122
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