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l’esprit des jardins
Châtenay-Malabry
delà des barrières culturelles et géogra-
phiques, fait à notre époque que l’on dit
vouée aumatérialisme.
UNE ESTHÉTIQUE DE LA
PERFECTION
Dans la vision occidentale de la nature
et du jardin, essentiellement romantique
et fortement marquée par l’art du pay-
sage qui se développe en Angleterre au
XViii
e
siècle, un bel arbre est un arbre
grand etmajestueux, sain, à la cime feuil-
lue, occupant avecmajesté l’espace. C’est
sans doute pour cela que le bonsaï nous
apparaît souvent comme une négation
de la beauté de l’arbre, voire le résultat
d’une violence que l’on exercerait sur
le végétal. Depuis des années, Rémy
Samson explique qu’il n’en est rien. Le
maître du bonsaï, qui sait développer les
qualités latentes de l'arbre en enlevant et
non en ajoutant, dit-il, doit prodiguer des
soins incessants au végétal. Son but est
de permettre à l’arbre de s’épanouir dans
toute sa beauté et, ce faisant, d’atteindre
une perfection.
Il suffit en effet de regarder un bonsaï,
surtout s’il a un certain âge, pour ressen-
tir cela. En suivant les lois de la nature et
grâce à une profonde familiarité avec
elles, le maître du bonsaï taille les bran-
ches de l’arbre pour permettre à la lu-
mière et à l’air de bien circuler à travers la
couronne et pour créer ce jeu de vides et
de pleins si important dans l’esthétique
orientale. Il taille les racines pour éviter
que l’arbre ne se développemais, ce fai-
sant, il élimine les racines abîmées et
« On ne peut vraiment comprendre
l’art de créer ces sculptures
vivantes sans intégrer leur signifi-
cation spirituelle. »
permet de limiter les attaques de para-
sites. Il dirige les tiges afin de favoriser
leur inclinationnaturelle et pour que tout
le potentiel de beauté qu’elles contien-
nent puisse fleurir, jusqu’à ce qu’un petit
arbre « quelconque » devienne, comme
nous l’avons vu, un archétype de l’arbre.
Est-ce pour cette raison que les bonsaïs
vivent plus longtemps que les arbres
plantés en pleine terre, dans les bois ou
dans les jardins ? Et faut-il s’étonner si
aujourd’hui encore, même dans une
culture qui a perdu le sens du sacré, la
contemplation d’un bonsaï procure un
sentiment de plénitude chargé de spiri-
tualité ?
UN SAVOIR TECHNIQUE ET PHILOSO-
PHIQUE
Rémy Samson a découvert cet art millé-
naire en 1969, lorsqu’il était jeune paysa-
giste. Depuis, il n’a cessé de l’explorer et
de l’approfondir, notamment grâce à des
voyages au Japon auprès des grands
maîtres du bonsaï. En 1978, il s’est rendu
en Chine et, afin de répondre à la de-
mande d’amateurs européens qui sou-
haitaient faire vivre leurs bonsaïs chez
eux, il en a rapporté le « bonsaï d’inté-
rieur », créé à partir d’essences provenant
des régions tropicales ou subtropicales
qui redoutent le froid. On les trouve
désormais partout dans le commerce.
C’est toujours avec humilité qu’il con-
tinue à apprendre ce savoir à la fois
technique et philosophique, et à le trans-
mettre à son tour au public par les cours,
les conférences et les ateliers qu’il
organise depuis des années dans son
musée de Châtenay-Malabry. Avec son
épouse Isabelle, qui l’accompagne dans
ses voyages à travers les pépinières
d’Asie à la recherche de végétaux nou-
veaux, il a publié un nombre important
d’ouvrages dont certains traduits en
plusieurs langues (voir liste en pied de ce
texte). Pour ce rôle pédagogique, les
journalistes de l’horticulture lui ont
attribué unemention spéciale en 1992.
CHEZ ALBERT KAHN
C’est tout naturellement qu’en 2011 dix-
sept bonsaïs provenant de la collection
de Rémy Samson ont trouvé leur place
« Ils portaient en eux les vertus et la
force de la nature, l’esprit de la roche
et celui du vent. »
BIO - BIBLIO
RÉMY SAMSON
HOMME-BONSAÏ
Né à Paris en 1948, boursier Zelidja à 18 ans
pour étudier les jardins italiens, Rémy Samson a
toujours été habité par la passion des végétaux.
Jeune paysagiste, il découvre en 1969 les
bonsaïs. Ce coup de foudre change sa vie : il
désire faire connaître son art aux Français. Outre
ses livres, souvent écrits avec son épouse et
traduits en plusieurs langues, il anime un club
d’amateurs et des ateliers, organise des stages,
ouvre un service garde et soins, crée un Musée
du Bonsaï, participe à de nombreuses
expéditions à la recherche de nouvelles variétés…
Un homme-bonsaï !
Rémy Samson est l’auteur de :
Le Petit Larousse
du bonsaï
(Larousse, 2010),
Sculptures vivantes
(Draeger, 1989),
L’art du bonsaï
(Dargaud, 1985)
et un livre considéré comme une Bible dans ce
domaine :
Comment créer et entretenir vos
bonsaïs
(Bordas, 1986).
dans le jardin Albert-Kahn à Boulogne,
lors d’une exposition temporaire.
Plusieurs autochromes de la collection
abritée par le musée attestent la pré-
sence, du temps d’Albert Kahn, de bon-
saïs dans le jardin, posés sur des pierres
près desmaisons du village japonais. En
effet, avec les lanternes, les ponts ou les
pavillons du thé, le bonsaï était un élé-
ment typique dans les jardins japoni-
sants qui, dès la fin du XiX
e
siècle, appa-
raissent en Europe.
Lorsque le Département des Hauts-de-
Seine a demandé à Rémy Samson
d’exposer ses œuvres, l’endroit le plus
indiqué pour le présenter au public s’est
avéré être l’« étang de l’abondance » du
jardin japonais. Là, les bonsaïs étaient
chez eux. Installés par les jardiniers sur
des socles suspendus sur l’eau, tout près
du bord de l’étang, ils s’offraient au
regard tout en étant bien protégés. Les
visiteurs pouvaient les contempler à leur
aise, leur tourner autour, en les décou-
vrant sur un fond toujours changeant :
les bambous, les érables du Japon, la
masse d’azalées du «Mont Fuji »…
Ainsi, s’instaurait un dialogue per-
manent entre ces spécimens de l’art
oriental du bonsaï, dont certains très
âgés, et le paysage japonais qu’Albert
Kahn a créé entre 1897 et 1909 et celui
que le paysagiste Fumiaki Takano a réa-
ménagé à la fin des années 1980. Mais
c’est surtout avec l’eau que ces œuvres
d’art végétales ont pu dialoguer, comme
Rémy Samson le décrit lui-même dans
l’ouvrage
Jardin Albert-Kahn
(édition
Jacques de Givry, 2012), en repensant
au moment où il a découvert cette
exposition :
«
Installés sur l’étang de l’abondance, je
découvris mes bonsaïs sous une autre
dimension. Ils nem’appartenaient plus. Leur
présence sur l’eau donnait une image irréelle
et féerique d’arbres en apesanteur. Ils
s’offraient à la contemplation du promeneur
avec simplicité. Chaque bonsaï, tel un
humble Narcisse, se mirait dans l’onde.
Chacun pouvait en retirer l’émotion qui était
en lui. La contemplation, le recueillement,
la réflexion étaient apportés par ces petits
arbres au milieu de l’eau. Albert Kahn
©CG92/WillyLabre
l’avait bien compris : un petit espace peut
apporter l’immensité. Et les voyages sont
intérieurs.
»
Bonsaï Rémy Samson et Musée du
Bonsaï
25 rue de Chateaubriand, Châtenay-
Malabry.
Visites libres du lundi au samedi, de 10h
à 18h.Visites guidées sur rendez-vous au
01.47.02.91.99
Sur la tradition horticole du Val d’Aulnay, on
pourra se reporter avec profit à notre revue
Vallée de la culture numéro 3.
Dix-sept bonsaïs
de la collection
de Rémy Samson
seront exposés
jusqu‘au 24 juin
sur le grand bassin
japonais du jardin
Albert-Kahn à
Boulogne.
©CG92/Jean-LucDolmaire
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